ISSN 1712-9753 Vol. 3, no. 2, été 2000 TABLE DES MATIÈRES COLLABORATION SPÉCIALE CONSTRUIRE L’ARMÉE DE TERRE — ÉTUDE ET DÉVELOPPEMENT DES MÉTHODES DE COMBAT ............................................... 1 DU RÉDACTEUR EN CHEF .................................................................................................... 5 DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE SITE WEB ET FORUM SUR LA DOCTRINE DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE .................................................................... 6 DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE NOUVEAU MANUEL DE DOCTRINE DE LA POLICE MILITAIRE, ENCART — POLICE MILITAIRE DE L’AIDE-MÉMOIRE TACTIQUE, STRUCTURE ET NORMES D’APTITUDE AU COMBAT ............. 7 DE LA DIRECTION DE L’INSTRUCTION DE L’ARMÉE DE TERRE LA NOUVELLE PHILOSOPHIE DE L’INSTRUCTION ............................................................. 13 PUISSANCE DE FEU 2020 : EST-CE LA FIN DE L’APPUI RAPPROCHÉ? ..................................................................... 17 LES FIRMES MILITAIRES PRIVÉES EN TANT QU’AGENTS DE TRANSFERT DE KNOW-HOW MILITAIRE MODÉLISATION DU PHÉNOMÈNE .................................................................................. 22 CHANGEMENT DE STRUCTURES POUR LES CHEFS DE DEMAIN ....................................................................................................... 30 RESTRUCTURATION DE L’ARMÉE DE TERRE OU RÉFLEXIONS SUR LA RESTRUCTURATION PAR LA BASE ...................................................... 36 UN SIMPLE PROBLÈME TACTIQUE « L’ANALYSE DE LA MISSION » .................................................................................. 54 TRIBUNE LIBRE COMMENTAIRES, OPINIONS ET CONTESTATIONS ............................................................ 55 i Table des matières LA CRISE DU LEADERSHIP LA 7E BRIGADE ET SA « RÉVOLTE » DE NIVELLES EN 1918 ......................................... 41 Vol. 3, no. 2, été 2000 COLLABORATION SPÉCIALE CONSTRUIRE L’ARMÉE DE TERRE — ÉTUDE ET DÉVELOPPEMENT DES MÉTHODES DE COMBAT J e suis très heureux d’avoir été invité par le rédacteur en chef à traiter de l’étude et du développement des méthodes de combat (EDMC) dans le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre. Ce bulletin est une revue très importante qui dessert nos principaux intérêts professionnels et qui offre une tribune à la pensée critique et au débat – deux éléments essentiels de notre profession. Mes prédécesseurs à cette tribune, invités à titre de collaborateurs spéciaux, ont traité de questions clés pour l’Armée de terre et, à mon tour, j’entends suivre cette voie. Je m’attarderai tout spécialement à réaffirmer qu’il est nécessaire d’avoir un processus d’EDMC, discipliné et à long terme, afin de s’assurer que l’Armée de terre sera équipée, formée et prête à relever les défis dynamiques de l’environnement de sécurité de l’avenir. POURQUOI UN PROCESSUS D ’ÉTUDE ET DE DÉVELOPPEMENT DES MÉTHODES DE COMBAT ? Les mots prophétiques du professeur Howard, mentionnés en rubrique, ont été prononcés trois jours avant le début de la guerre du Yom Kippur, conflit qui est venu tout près de se solder par une défaite cuisante d’Israël contre la coalition arabe. Il est nécessaire d’avoir un processus d’étude et de développement des méthodes de combat afin de s’assurer que l’Armée de terre a le potentiel de combat nécessaire pour livrer et « Je suis tenté d’affirmer de façon catégorique que quelle que soit la doctrine qui occupe actuellement les forces armées, ces dernières font fausse route. Je suis également tenté de déclarer que ce n’est pas important qu’elles fassent fausse route. Ce qui importe, c’est la capacité des forces armées de trouver rapidement le droit chemin au moment voulu. En période de paix, il incombe à la science militaire d’éviter que les forces armées ne s’écartent trop du droit chemin. » Sir Michael Howard 3 octobre 1973 remporter les combats. Ce processus doit offrir une méthode détaillée et rigoureuse qui servira à développer et à valider les structures de la force. L’avant-projet qui en résultera n’est pas définitif, mais constitue le plan autour duquel s’articule le développement de la force nécessaire à l’atteinte des objectifs militaires prévus. Si les ressources s’amenuisent – comme elles le font inévitablement – l’avant-projet est alors le point de départ à des analyses des écarts et des risques qui servent à déterminer les capacités les plus essentielles et la fonctionnalité qu’il est possible d’obtenir. Le processus d’étude et de développement des méthodes de combat ne se limite pas à des discussions en table ronde. Les opinions superficielles sont inutiles, voire même dangereuses. Les enthousiastes et les amateurs peuvent émettre diverses opinions sur la fin de la guerre et des armées permanentes sans réfléchir vraiment ou sans étayer leurs opinions par des évaluations détaillées. Par ailleurs, d’autres personnes se fondent uniquement sur une base analytique dans leur étude et aboutissent à de simples organigrammes sans comprendre véritablement comment les forces armées sont conçues et construites et quelle en est la « chimie » qui leur permet de combattre. Quand on met de l’avant des idées à demi-mûries, on crée de la confusion et de la distraction au lieu de contribuer à enrichir réellement l’analyse. Les professionnels formés et expérimentés, versés dans l’art et la science militaires, sont les mieux préparés à exécuter cette importante tâche. Il est également important d’investir dans l’étude et le développement des méthodes de combat afin de nous assurer de maintenir un niveau de disponibilité opérationnelle et matérielle approprié au cas où nous serions entraînés dans un conflit à bref préavis. Nous avons dû apprendre et réapprendre cette leçon plusieurs fois au cours du dernier siècle. La distribution du fusil Ross lors de la Première Guerre mondiale, le déploiement de troupes 1 Colaboration spéciale : Construire l’Armée de terre — Étude et développement des méthodes de combat Colonel M.J. Ward, CD Le directeur - Concepts stratégiques (Opérations terrestres) Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre non entraînées et mal équipées à Hong Kong au début de la Deuxième Guerre mondiale et notre incapacité d’engager des troupes en temps opportun en Corée sont tous des exemples qui illustrent un manque d’état de préparation dans un environnement mal défini et ambigu. Le colonel M.J. Ward L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ DE L ’AVENIR Comme le montre l’histoire récente, les conflits ne sont pas en perte de vitesse. Bien au contraire, au cours des dix dernières années, de nombreux conflits, dont l’intensité allait de faible à moyenne, ont éclaté. Cette éruption de crises est l’expression de la volonté d’établir un nouvel ordre (ou désordre) dans diverses régions du globe. Dans une étude de la direction - Concepts stratégiques (Opérations terrestres), publiée en 1999, on dénombre 33 conflits dans le monde, allant d’obscures mesures anti-insurrectionnelles en Asie centrale à des conflits endémiques en Afrique, en passant par les conflits mieux connus dans les Balkans. Notre rôle en tant que force armée consiste à empêcher les agressions et, en cas d’échec, à livrer et à remporter les batailles vitales pour nos intérêts nationaux et notre sécurité. Si nous voulons continuer à pouvoir répondre aux besoins de défense du Canada, nous devons toujours être en éveil et nous appliquer à comprendre comment les conflits se développeront et comment nous pouvons le mieux contribuer à la défaite de tous les ennemis potentiels. Pour ce faire, il est primordial de compter sur un processus d’EDMC, rationnel et cohérent, qui nous permet d’analyser l’importance des menaces inhérentes à l’environnement de sécurité de l’avenir, de développer les besoins en capacités nécessaires et 2 d’expérimenter les concepts établis en réponse à ces besoins. Cela semble bien en théorie, mais… Q UELS ONT ÉTÉ LES RÉSULTATS DU PROCESSUS D ’EDMC DANS LE PASSÉ ? Bien que nous soyons nos critiques les plus sévères, l’Armée de terre canadienne a fait preuve d’innovation et d’ingénuité dans ces processus de développement de la force. Pendant les deux grandes guerres mondiales, elle a établi une doctrine bien adaptée quant à l’emploi des forces de manœuvre terrestres et de l’appui aérien tactique. Toutefois, les éclairs de génie ne se sont pas limités aux périodes de guerre, mais ils ont été beaucoup moins apparents et constants en temps de paix. Par conséquent, nous devons déployer des efforts soutenus pour nous assurer que notre capacité de combat à long terme a du ressort tout en étant souple et adaptée aux nouvelles menaces. Dans le rapport n o 9905 de la DCSOT intitulé, An Identifiable Cult: The Evolution of Combat Development in the Canadian Army 1946-1965, M. Sean Maloney fait un examen détaillé de nos initiatives d’après-guerre visant à garder bien vivant un processus d’étude et de développement des méthodes de combat. À l’arrêt des hostilités en 1945, l’Armée canadienne procéda à une démobilisation sans précédent. Les corps et les divisions qui avaient été mis sur pied moins de cinq ans auparavant n’étaient plus nécessaires – phénomène bien compréhensible. Simultanément, l’état-major de l’Armée chercha à se préserver des effets de la démobilisation en établissant un processus d’étude et de développement des méthodes de combat inspiré des succès obtenus durant la guerre en vue d’adapter les forces terrestres et les forces aériennes tactiques aux nouveaux types de combats de l’ère nucléaire. De 1945 à 1967, dans le cadre du processus d’EDMC de l’Armée, on a établi des modèles conceptuels hautement efficaces pour les formations de la taille de division et de brigade que l’on a apprêtées afin de les employer aux côtés des alliés en Europe centrale. On obtenait ainsi une formation interarmes et une doctrine optimales pour un espace de combat non linéaire, non contiguë et étendue. Il a fallu non seulement établir des modèles conceptuels et des jeux de guerre en collégialité, mais aussi procéder à des expériences en campagne à l’aide de troupes et de formations au niveau de brigade et de division. Malgré les économies réalisées et l’efficacité obtenue grâce à l’intégration des quartiers généraux de l’Armée de terre, de la Marine et de la Force aérienne et à celle des états-majors militaires et ministériels, l’unification a sabordé l’élan acquis dans le domaine de l’étude et du développement des méthodes de combat au cours des années 50 et 60. Malgré la confrontation de la guerre froide en Europe centrale au cours des années 70 et 80, une série de crises périphériques a empêché l’Armée de terre d’explorer les conflits et les environnements de sécurité de l’avenir ainsi que les capacités de combat potentiellement requises pour atteindre les objectifs de sécurité nationale. Le processus d’EDMC, rétabli en 1974, était axé sur l’établissement de formations importantes dotées d’un ensemble idéal de capacités de combat. Bien que les formations de Corps 86 et 96 qui en résultèrent aient été des modèles enviables, leur utilité ultime se limitait à l’instruction des officiers dans nos collèges d’état-major et ne s’étendait pas aux plans de mobilisation et d’acquisition. C’est vers cette époque que la mobilisation a cessé de jouer un rôle dans le processus d’EDMC et la structure organisationnelle. Les forces permanentes se dégagèrent de la responsabilité de développer le potentiel militaire de la nation en armes, potentiel nécessaire si un nouveau conflit d’une ampleur insoupçonnée devait éclater ou durer pendant une période dépassant celle pendant laquelle l’armée régulière permanente pourrait combattre. Cette optique était à courte vue et trahissait une incompréhension grave de la nature humaine et des forces complexes qui façonnent la communauté mondiale. Au début des années 90, nous avons remplacé l’ancien système par le processus de développement de la Force terrestre; il s’agissait d’un nouvel effort pour établir un processus de développement de la force fonctionnel et produire des forces de campagne opérationnelles. Pour ce processus, on a fait appel à l’état-major général auquel des fonctions secondaires ont été assignées à cette fin. Il n’a jamais atteint son objectif initial et n’a existé que temporairement jusqu’à ce que le quartier général du Commandement de la Force terrestre déménage au QGDN, et que l’effort de l’état-major, assigné au processus à titre secondaire, ait été englouti par les réductions d’effectifs. Entre-temps, la capacité de combat réelle n’a pas cessé de décliner. La perte de la 1re Division du Canada et du 4 e Groupe-brigade mécanisé du Canada a creusé un vide important dans notre capacité de maintenir la compétence professionnelle au niveau divisionnaire et de groupebrigade mécanisé. La série d’exercices Rendez-vous, tenus tous les deux ans, visait des objectifs similaires pour les troupes stationnées au Canada, mais ces exercices sont maintenant chose du passé. La réduction du grade des commandants de brigade de général à colonel et la perte du quartier général de la 1re Division du Canada sont importantes dans la mesure où maintenant nous n’avons plus d’officiers généraux de l’Armée de terre qui commandent des formations de campagne, réduisant l’importance opérationnelle que cela représente. Quel impact cette situation aura-t-elle sur notre capacité de mener des opérations de niveau de formation à un moment ou l’autre dans l’avenir ? Y aura-t-il, de ce fait, dégradation de l’importance en tant que professionnels, que nous attachons au combat, comme la capacité fondamentale de l’Armée de terre ? Je pose ces questions parce qu’elles menacent grandement notre viabilité à long terme en tant qu’armée polyvalente et apte au combat. Nous tournerons-nous alors vers la gendarmerie dont faisait état le brigadier-général Macdonald dans un récent bulletin en tant que collaborateur spécial1 ? Cela m’inquiète d’entendre des officiers professionnels parler d’une armée fondée sur les groupements tactiques, comme s’il s’agissait de la capacité de combat maximale que notre pays pourrait avoir à déployer. Tout porte à croire que bon nombre d’entre nous estiment que, dans les conflits de l’avenir, nous nous limiterions à n’engager que les forces que nous déployons actuellement dans le cadre des opérations de soutien de la paix. Cette idée fait abstraction des points essentiels suivants : l’augmentation des tensions régionales dans le monde, les principaux compétiteurs régionaux semblent ne pas avoir constaté que la guerre froide (qui n’est qu’un concept eurostratégique) est terminée et les adversaires potentiels de l’avenir continuent de mobiliser d’importantes forces militaires conventionnelles, outre les forces nouvelles et non conventionnelles. Dans une ère de mondialisation grandissante, pouvons-nous nous isoler géographiquement et continuer d’être à l’abri des menaces asymétriques qui nous guettent ? Loin de préconiser le maintien du statu quo antérieur – importantes forces conventionnelles permanentes –, j’estime cependant qu’il y a lieu d’analyser en profondeur tous nos besoins en matière de capacités et d’examiner comment nous pouvons les satisfaire par l’étude et le développement concertés et exhaustifs des méthodes de combat. Depuis les cinquante dernières années, l’incapacité de maintenir un processus continu qui a produit des forces aptes au combat, est un scénario qui s’est répété. Combien de fois n’avons-nous pas établi un processus sans mettre en œuvre de façon concrète les résultats ? Chaque fois que nous sommes entrés dans une période de troubles ou que nous nous sommes laissés distraire par les opérations en cours, notre première réaction a été de sacrifier l’EDMC. Résultat : nous n’avons pas su perpétuer une méthode évolutive, cohérente et détaillée, que l’Armée de terre pourrait utiliser pour adapter les structures de la force et les capacités des systèmes de combat. Il y a des exemples récents d’acquisitions de systèmes d’armes et d’équipement (Eryx, Griffon, Coyote et VBL III, entre autres), entreprises sans validation 3 Colaboration spéciale : Construire l’Armée de terre — Étude et développement des méthodes de combat Vol. 3, no. 2, été 2000 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre des besoins opérationnels, qui ont abouti à l’introduction de matériel sans que la doctrine appropriée soit établie ou sans qu’on comprenne comment ces nouvelles capacités rehaussent le potentiel de combat ou s’intègrent dans les formations interarmes. Q UELLE EST LA SOLUTION AU PROBLÈME ? Le colonel M.J. Ward Ces problèmes sont toujours présents, mais peuvent être allégés à l’avenir. Depuis la création de l’étatmajor de l’Armée de terre à Ottawa, nous avons eu la possibilité de remédier à l’absence d’un processus d’EDMC cohérent dans l’Armée de terre. En 1996, le nouvel état-major de l’Armée de terre est passé d’un système européen d’état-major (G1 – G6) à un système d’état-major fonctionnel au sein duquel les principales fonctions institutionnelles (concepts, doctrine, instruction, besoins, etc.) ont été assignées à de nouvelles directions. Dans ce contexte, la direction - Concepts stratégiques (Opérations terrestres) s’est vue attribuer la responsabilité de conseiller le CEMAT sur les besoins de l’armée de l’avenir. La direction – Doctrine de l’Armée de terre (DDAT) a été chargée d’établir une doctrine entièrement nouvelle qui définit comment l’Armée de terre combattra au cours du 21 e siècle. On a également assigné des responsabilités à d’autres directions afin de s’assurer qu’il existe un plan de développement de l’Armée de l’avenir, plan qui servira à orienter l’étude et le développement de la force 4 et des méthodes de combat non seulement de l’Armée d’aujourd’hui (0-4 ans), mais également de l’Armée de demain (5-10 ans) et de l’Armée de l’avenir (11-25 ans). Récemment, on a apporté la touche finale au processus de planification stratégique de l’Armée de terre qui définit comment l’armée est conçue, planifiée, construite et gérée. Ce processus englobe les principales activités reliées aux vérifications des fonctions de combat ainsi qu’à l’étude et au développement dirigés des méthodes de combat. À l’aide de la recherche opérationnelle, de la science et de la technologie et d’un centre d’expérimentation à Kingston, nous sommes en mesure d’effectuer du développement conceptuel, de cerner des concepts de rechange en vue d’obtenir de nouvelles capacités militaires et de les vérifier scientifiquement avant d’apporter des changements qui, quoique radicaux, demeurent néanmoins nécessaires à la structure de la force. Le plan de campagne ISTAR est un indicateur précoce et utile des avantages qui pourraient éventuellement résulter non seulement du processus et de l’exercice intellectuel qu’il sous-tend, mais également de l’engagement et de la participation continus des chefs supérieurs. Cet exercice seul ne suffira pas à produire une armée souple et apte au combat. Nous sommes maîtres du processus, mais cet avantage n’est une garantie de progrès. Ces analyses à long terme doivent être menées à partir des concepts jusqu’à la mise en œuvre des résultats, et elles ne doivent pas être rapidement reléguées aux oubliettes. Tous les chefs de l’Armée de terre doivent prendre part à ce cycle d’activités, cycle qui doit constituer le cadre d’un débat professionnel au terme duquel les idées seront mis au banc d’essai. Maintenant, en l’an 2000, nous avons encore une fois un processus d’étude et de développement des méthodes de combat utile. Mais est-il parfait ? Réussirons-nous à générer l’effort et la discipline nécessaires pour nous assurer qu’il desserve réellement l’objet pour lequel il est établi ? Nous ne le saurons pas tant que les troupes canadiennes ne seront pas mises à l’épreuve sur un champ de bataille de l’avenir. Comme l’a suggéré le professeur Howard il y a plus d’un quart de siècle, même si tout ne se déroule pas parfaitement, nous aurons au moins eu le mérite d’avoir tenté l’effort et nous en aurons bénéficié. Néanmoins, nous avons la responsabilité collective d’être prêts et de mettre en place la meilleure armée de terre possible. Nous devons cela tout autant à notre pays qu’à nos soldats chargés de mener à bien la mission de l’Armée de terre. NOTES 1 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre, vol. 2, no 4, hiver 1999. Vol. 3, no. 2, été 2000 DU RÉDACTEUR EN CHEF… Capitaine John R. Grodzinski, CD Rédacteur en chef ? Notre armée l’ignore elle-même. Du moins elle ne le sait pas bien. Collectivement, nous sommes conscients — et fiers — que l’armée ait un dossier enviable au service du Canada. Toutefois, à part Vimy, la campagne de Normandie et une ou deux autres batailles, nous ignorons malheureusement notre histoire. Il en va de même pour notre compréhension de l’évolution de l’Armée canadienne et de la façon dont elle a abordé les problèmes et les questions de l’heure. Dans l’ère de l’après-Deuxième Guerre mondiale, alors que notre armée a commencé à mener des opérations de temps de paix dans le monde, notre compréhension de cette période repose sur la mémoire du plus ancien témoin des événements. De plus, nous avons tendance à étudier ce que d’autres armées ont fait et font et à négliger notre propre expérience. Ce qui nous fait défaut, c’est une perspective canadienne sur de nombreuses questions – je n’entends pas par là comment ces questions ont été traitées dans le cadre de programmes politiques –, mais bien comment l’armée les a abordées. L’armée s’est attaqué à un certain nombre de questions au cours des années 50 et 60, et la compréhension de ces questions pourrait mieux orienter notre façon d’aborder les problèmes modernes. Par exemple, comment le Canada a-t-il participé à la planification opérationnelle de l’OTAN lorsque notre brigade faisait partie intégrante des plans de guerre du 1er Corps britannique ? Quelle influence avons-nous eue sur ces plans ? Comment les questions concernant l’adoption des transports de troupes blindés ont-elles été traitées ? Ou bien celles relatives à l’artillerie équipée d’ogives nucléaires propulsées par fusées ? Pourquoi avonsnous des bataillons des services ? Nous consacrons beaucoup de temps à l’étude des tendances doctrinales et autres des armées américaine, britannique, etc., mais nous connaissons moins bien celles qui ont cours dans notre propre armée. Il faut admettre que des progrès ont été effectués. La direction — Concepts stratégiques (Opérations terrestres) a piloté certaines activités1 , mais il est néanmoins nécessaire de parrainer encore plus de recherches, de publier plus de rapports et de favoriser davantage la rédaction d’articles. Il est certain que la compréhension de ces questions ne solutionnera pas les problèmes d’aujourd’hui, mais elle aidera à les situer dans un certain contexte. En fait, nous pouvons même apprendre qu’il y a une façon bien canadienne de faire les choses. LE PROCESSUS EN TANT QUE FACTEUR STRATÉGIQUE Une revue américaine publiait récemment un article intitulé, Infrastructure as a Strategic Factor (L’infrastructure en tant qu’élément stratégique), faisant référence à l’impact de l’infrastructure sur la conduite et la réussite des opérations militaires. Le Canada pourrait ajouter à cette liste un nouvel élément stratégique : le processus. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faut établir un processus. Comment allons-nous aborder cette question ? Comment pouvons-nous déterminer et évaluer l’impact d’une question dans son ensemble et quelle en est la boucle de rétroaction ? La façon dont les problèmes sont gérés est certainement importante, mais ce n’est pas une fin en soi. Il est courant d’entendre dans les présentations : « Avant d’examiner la question, jetons un coup d’œil au processus…» Puis, pendant la grande partie de son exposé, le conférencier précise le processus sans discuter véritablement du problème en cause. La discussion du problème comme tel est devenue accessoire. C’est le processus qui est intéressant. Au lieu de porter sur la stratégie, la doctrine ou l’instruction, le processus dont fait état notre conférencier aurait pu servir à déterminer quel film aller voir. Pourquoi en est-il ainsi ? Cela signifie-t-il que nous ne sommes pas prêts à discuter de ces questions ? Cela est-il dû au fait que la « gestion » se heurtant au « leadership », le processus remplace la décision sur la stratégie, la doctrine ou toute autre question, voire même la compréhension des problèmes ? Quelqu’un a-t-il une réponse ? UNE NOUVELLE RUBRIQUE PROBLÈMES TACTIQUES — LES Le présent numéro du Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre comprend une nouvelle rubrique : Les problèmes tactiques. Notre tacticien résident soumettra périodiquement des problèmes aux lecteurs. Vous êtes invités à les examiner et à en débattre et, si vous le désirez, à fournir des solutions. Soyez prudents cependant — ce sont des exercices pour le tacticien et non pour l’officier d’état-major; par conséquent, ne vous embarrassez pas de détails dont vous n’avez pas besoin. Soyez clairs. NOTES 1 Par exemple, le rapport de la DCSOT no 9905 de Sean Maloney, PhD, An Identifiable Cult: The Evolution of Combat Development in the Canadian Army, 1946 – 1965, août 1999, est un pas important dans cette direction. Il faut souligner que M. Maloney est un des quelques universitaires qui rédigent des articles sur des questions opérationnelles et autres touchant l’Armée canadienne au cours de la période ultérieure à 1945. 5 Du rédacteur en chef… Q UI SOMMES-NOUS Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE SITE WEB ET FORUM SUR LA DOCTRINE DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE C onçu pour aider à promouvoir la doctrine, le site Web de la Direction de la doctrine de l’Armée de terre (DDAT) a récemment été amélioré; on le retrouve dorénavant sur le Réseau d’information de la Défense (RID) à l’adresse suivante: http://lfdts6a.d-kgtn.dnd.ca/dad Le site offre aux lecteurs une description de l’organisation, de la mission, des rôles et des tâches de la Direction. Il précise les responsabilités des sections selon leur orientation sur l’une des six fonctions de combat—Manoeuvre, Opérations d’information, Commandement, Puissance de feu, Protection, et Maintien en puissance—ainsi que leur lien avec les divers groupes de travail de normalisation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et du Programme des forces ABCA (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada et Australie). De la Direction de la doctrine de l’Armée de terre Le site Web fournit également un aperçu du contexte de la doctrine et de son processus d’élaboration. Il illustre en outre la hiérarchie actuelle et le calendrier de production des manuels de doctrine en plus de faciliter l’accès aux manuels pour fins de consultation ou de téléchargement. Mais, plus important encore, le site permet à ceux qui le visitent de commenter les manuels en version provisoire qui y sont offerts en consultation. À cette fin, le site comporte un « Forum sur la doctrine », par l’entremise duquel les visiteurs du site peuvent poser des questions aux rédacteurs de la doctrine, donner des avis professionnels sur les manuels en version provisoire ou demander des éclaircissements au sujet de toute question reliée à la doctrine. La présentation du Forum s’harmonise avec les six fonctions de combat; cependant, si les lecteurs ne savent pas exactement à qui adresser leurs commentaires ou leurs questions, ils peuvent simplement les envoyés à n’importe quelle des six sections et ils seront acheminés à la section compétente. En dernier lieu, la rubrique « Quoi de neuf? » permet de tenir les visiteurs au courant des modifications majeures apportées à notre doctrine et d’annoncer les événements importants prévus au sein de la Direction. Tous sont invités à visiter le site Web de la DDAT et à participer au Forum sur la doctrine. Les questions concernant le site peuvent être adressées à Mme Thérèse Lessard, coordonnatrice de la terminologie de l’Armée de terre DDAT, au (613) 541-5010, poste 5947, par le RCCC au 270-5947, par télécopieur au (613) 541-5903 ou par le SCED à l’adresse suivante: T [email protected]@LFDTS. 6 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre k Tâches liées à la garde des prisonniers de guerre. La gestion des points de rassemblement pour prisonniers de guerre doit respecter les exigences énoncées dans la troisième convention de Genève, à savoir la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, ainsi que dans le premier des protocoles additionnels aux conventions de Genève; k Tâches liées à la garde de détenus militaires. La gestion des salles de garde et des installations de détention destinées à la garde de soldats des Forces canadiennes mis aux arrêts doit respecter les dispositions de la Loi sur la défense nationale; De la Direction de la doctrine de l’Armée de terre k Tâches liées à la garde de civils. La gestion d’installations de détention temporaire destinées à la garde de détenus civils doit respecter les règles d’engagement. Opérations policières. La Police militaire appuie le commandant en veillant au maintien d’une norme élevée de discipline: elle met en œuvre des programmes de prévention du crime, mène des activités d’application de la loi et enquête en cas d’infraction. Au niveau tactique, les opérations policières sont toujours plus intensives avant et après la phase des hostilités. Dans le contexte des opérations policières, la Police militaire se concentre sur la prévention du crime plutôt que sur l’application de la loi et des règlements en vigueur. Son mandat repose donc sur la prévention, tout particulièrement dans les situations qui ne touchent pas le combat, par exemple les périodes de repos et récupération. Aussi, les unités de la Police militaire et le Grand Prévôt, avec la collaboration des commandants d’unité et de formation, établissent un programme de prévention du crime qui vise à maintenir la discipline plutôt qu’à l’imposer. À cet égard, la Police militaire et tous les commandants doivent travailler 10 ensemble à ce que les soldats canadiens maintiennent une excellente norme de discipline. AIDE-MÉMOIRE TACTIQUE (AMT) E NCART — POLICE MILITAIRE Les Instructions permanentes d’opération de l’unité (IPOU) et l’Aide-mémoire tactique (AMT) 4 servent de complément aux manuels de doctrine de l’Armée de terre. Parallèlement, la publication B-GL-332-012/FP-001, Encart - Police militaire, s’ajoute à l’AMT et complète donc elle aussi le manuel de doctrine de la Police militaire et énonce les techniques, tactiques et procédures inhérentes à l’exécution des tâches de la Police militaire. Le manuel de doctrine de la Police militaire et l’Encart - Police militaire reproduisent les accords et procédures d’envergure internationale dont ont convenu les pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et du Programme de normalisation ABCA (Amérique, Grande-Bretagne, Canada et Australie). Ainsi, l’Armée de terre canadienne est capable d’interopérabilité au sein d’une force multinationale sans devoir consulter une multitude d’accords ratifiés par le Canada. La disposition de l’Encart — Police militaire ressemble à celle du manuel de doctrine, en ce sens que les procédures sont regroupées par fonction et constituent un ouvrage de consultation rapide sur les données cruciales qui concernent les policiers militaires de tous grades. De plus, le texte principal est étayé de nombreuses annexes. L’Encart - Police militaire constitue l’encart (Arme) que tous les policiers militaires de l’Armée de terre devraient ajouter à leur AMT. STRUCTURE DE LA PM Les renseignements sur la structure de l’Armée de terre ont été retirés des manuels de doctrine pour éliminer le besoin de modifier ces manuels chaque fois que sont approuvés des changements à la structure qui n’influent pas sur la doctrine, pour permettre la révision périodique de la structure des formations et unités en fonction de la doctrine et pour garantir l’approbation de la structure optimale qui permettra l’exécution des tâches de doctrine qui incombent aux unités. La structure de la Police militaire figure dans le coffre de campagne informatisé (CCI), dans la structure rigoureuse du point de vue de la doctrine qui a été établie pour l’Armée de terre canadienne. Cette structure repose sur celle d’un corps allié qui regroupe un groupe-brigade mécanisé du Canada (le 20 GBMC), une division canadienne (la 4 Div), les troupes d’un corps et des formations alliées. La quantité d’équipement majeur et les effectifs dont il faut doter les unités nationales de niveau opérationnel, dont l’unité de la Police militaire des Forces canadiennes, sont également précisés dans le coffre de campagne informatisé. Les planificateurs et les établissements d’instruction devraient s’y reporter lorsqu’une structure conforme à la doctrine s’impose, pour les besoins de planification ou d’entraînement de la force. Il y a lieu de noter que la structure PM décrite dans le coffre est celle qu’il faut mettre en œuvre pour appuyer les formations concernées en temps de guerre, et qu’en temps de paix, elle est rationalisée en fonction de la réalité économique et ne prévoit pas la pleine dotation en effectifs et en équipement qui permettrait d’exécuter les tâches voulues sans augmentation. Évidemment, la structure PM est toujours adaptée selon le déploiement pour répondre à des besoins particuliers de la mission et, par conséquent, elle ne prend pas toujours la Vol. 3, no. 2, été 2000 QG alliance QGDN SCEMD VCEMD J3 J2 J3 PM GPFC J2 Plans&Pol 4 Niveau stratégique Cmdt SNEFC Cmdt UNCIFC QG théâtre QG ECN Niveau opérationnel PM théâtre PM ECN Dét UNCIFC U PM FC Dét SNEFC QG corps Niveau tactique U PM corps Div CA GBMC Cmdt U PM PM U PM U PM - L'ECN continue d'assumer le plein commandement des unités canadiennes. - Le GP FC conserve le contrôle technique de toutes les unités de la Police militaire canadienne et des activités de Grand prévôt qui ont trait aux opérations policières. - Le cmdt SNEFC continue d'assumer le plein commandement du dét SNEFC. Figure 3 : Structure et état-major de la Police militaire à tous les niveaux de commandement. forme prescrite par la doctrine pour appuyer un groupe-brigade mécanisé du Canada au combat. L’organigramme présenté à la Figure 3 montre la structure et l’état-major des éléments de Police militaire canadiens et alliés qui pourraient être déployés dans le théâtre d’opération. Le manuel de doctrine de la Police militaire définit en outre les responsabilités et les capacités inhérentes aux unités canadiennes et aux éléments connexes. NORME D’APTITUDE AU COMBAT (NAC) DE LA POLICE MILITAIRE (PM) En plus de l’instruction individuelle dispensée à l’École de la Police militaire des Forces canadiennes, les unités doivent suivre une instruction collective qui soit réaliste et rigoureuse pour s’avérer efficace lors des opérations et atteindre le but ultime que constitue la cohésion au niveau de la sous-unité et de l’unité. C’est au moyen de NAC que l’Armée de terre s’assure de maintenir et de valider les habiletés voulues au niveau de l’unité. Aussi, la NAC PM énonce les normes d’instruction collective à appliquer, à partir de l’équipe en jeep jusqu’au peloton. Il existe également des NAC pour la police régimentaire (PR). La NAC PM constitue le barème commun qui sert à mesurer le rendement. Les commandants peuvent l’utiliser comme lignes directrices dans la planification et la conduite de l’instruction collective dispensée aux organisations de la Police militaire. La NAC PM est axée sur les opérations de mobilité et de détention. Les normes en ce qui a trait aux opérations policières et de sécurité figurent dans les Politiques et procédures techniques applicable à la Police militaire des Forces canadiennes et dans les Instructions de sécurité de la Défense nationale et elles continueront de s’appliquer et d’être vérifiées conformément aux directives du Grand Prévôt des Forces canadiennes. Même si les aptitudes au combat qui sont enchâssées dans la NAC PM définissent bel et bien les tâches susceptibles d’incomber à n’importe quel peloton, section ou patrouille de 11 Nouveau manuel de doctrine de la Police militaire, Encart — Police militaire de l’Aide-mémoire tactique, structure et normes d’aptitude au combat PM corps Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre la Police militaire ou à la Police régimentaire en cours d’opérations, il est impossible, étant donné les restrictions en matière de ressources et de temps, d’intégrer toutes ces aptitudes à tous les cycles d’instruction. Aussi, avant chaque cycle d’instruction, les commandants de peloton et de section, en collaboration avec leur commandant supérieur, doivent déterminer les aptitudes prioritaires qui feront l’objet de l’instruction et d’une évaluation dans le cycle d’instruction à venir. http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/scripts/ doctrine_forum/ultraBoard.pl — Tribune sur la doctrine. OUVRAGES DE RÉFÉRENCE RÉCAPITULATION ÉLECTRONIQUES De la Direction de la doctrine de l’Armée de terre Le lecteur est invité à consulter les ouvrages de référence ci-dessous, disponibles sur le Réseau d’information de la Défense, pour approfondir sa connaissance des nouveaux développements en matière de doctrine et d’instruction au sein de l’Armée de terre. Il est également encouragé à formuler des commentaires et des suggestions sur le manuel de doctrine de la Police militaire et sur les procédures, les structures et l’instruction pertinentes au groupe de la protection, par le truchement de la Tribune sur la doctrine dont il est question plus loin. http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/English/ default.asp — Système de la doctrine et de l’instruction de la Force terrestre (SDIFT). http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/dad/ main-acceuil.asp — Direction de la doctrine de l’Armée de terre (DDAT). http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/ael/ main-acceuil.asp — Bibliothèque électronique de l’Armée de terre. 12 http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/dat/ english/index.htm — Direction de l’instruction de l’Armée de terre (DIAT). http://lfdts-6a.d-kgtn.dnd.ca/dat/ french/bts.htm — Normes d’aptitudes au combat. http://131.134.112.25/cfpm/ intro_f.asp — Grand Prévôt des Forces canadiennes. Après avoir adopté de nouveaux concepts de doctrine, l’Armée de terre a fourni à la Police militaire une doctrine, des procédures et des normes d’aptitudes au combat renouvelées et elle a redéfini la structure de la Police militaire. Elle a consigné le tout en quatre ouvrages de référence distincts, qui remplacent le manuel désuet de doctrine La police militaire en campagne, publié en 1973. Désormais, la Police militaire de l’Armée de terre, de même que l’état-major et les établissements d’instruction de l’Armée de terre disposent de manuels à jour pour les orienter dans l’utilisation des unités de la Police militaire et dans l’instruction des soldats qui en font partie. La Police militaire continue d’apporter un appui professionnel aux commandants de l’Armée de terre, que ce soit au pays ou à l’étranger. Elle collabore avec les unités de niveau opérationnel, les forces alliées et les forces policières civiles pour exécuter les tâches qui lui sont confiées et qui s’articulent autour de quatre fonctions : soutien à la mobilité; sécurité, détention et opérations policières. NOTES 1 Noter que la version du coffre de campagne informatisé (CCI) actuellement en vigueur est la version 2.1 d’octobre 1999. La prochaine version sera intégrée au logiciel de base du Réseau d’information de la Défense. 2 Une fois terminée, cette publication remplacera l’A-SJ-100-004/AG-001, Consignes de la police militaire, datée 1996-08-27. 3 Cette publication remplace l’A-SJ-100-001/AS-001, Politiques de sécurité de la Défense nationale. Les chapitres approuvés des Instructions de sécurité de la Défense nationale sont diffusés dans le Réseau d’information de la Défense nationale, à l’adresse http://131.134.112.25/ vcds/cfpm/pubs/ndsi/intro_e.asp. 4 La B-GL-332-001/FP-001, Instructions permanentes d’opérations d’unité, et la B-GL-332001/FP-002, Aide-mémoire tactique (AMT), sont présentées dans une petite reliure, qui contient aussi l’Encart — Police militaire. Tous ces documents sont imprimés sur papier imperméabilisé. Vol. 3, no. 2, été 2000 DE LA DIRECTION DE LA DOCTRINE DE L’ARMÉE DE TERRE NOUVEAU MANUEL DE DOCTRINE DE LA POLICE MILITAIRE, ENCART — POLICE MILITAIRE DE L’AIDE-MÉMOIRE TACTIQUE, STRUCTURE ET NORMES D’APTITUDE AU COMBAT D Le manuel de doctrine de la Police militaire fait l’objet de révisions depuis 1985, et bon nombre d’officiers et de MR associés à la Police militaire ont eu l’occasion d’en examiner de multiples ébauches. Aucun manuel n’est encore approuvé et, par voie de conséquence, les ébauches des manuels de doctrine et de procédures servent d’ouvrages de référence provisoires. L’École de la Police militaire des Forces canadiennes, auparavant appelée École du renseignement et de la sécurité des Forces canadiennes, continue de s’appuyer sur les ouvrages de références de la prévôté pour enseigner tâches qui sont énoncées dans la doctrine ainsi que dans la B-GL-331-005/ FP-001, Coffre de campagne informatisé1 , d’octobre 1999. Pour sa part, la B-GL-383-002/PT-021, Normes d’aptitude au combat - Police militaire (NAC PM), dont l’ébauche devrait avoir été publiée au moment où cet article paraîtra, vise à aider les unités et sousunités qui font parties de formations à valider l’instruction qu’elles dispensent afin de s’assurer qu’elles remplissent leur mandat opérationnel conformément à la doctrine et aux procédures autorisées. DOCTRINE Figure 1 : Le jalonneur les opérations en campagne de la Police militaire. Par ailleurs, grâce aux efforts déployés par la DDAT, une nouvelle doctrine existe maintenant. En effet, les procédures qui régissent l’utilisation de la Police militaire au sein de l’Armée de terre sont désormais assorties d’un ouvrage de doctrine moderne, à savoir la publication B-GL-362-001/FP-002, Police militaire de la Force terrestre, qui permet un appui efficace de l’Armée de terre canadienne dans le contexte de la guerre de manoeuvre et du commandement de la mission qui caractérisent désormais le champ de bataille. Cette publication remplace la B-SI-315-004/FT-001, La police militaire en campagne, publiée le 30 novembre 1973. De par sa structure, la Police militaire doit s’acquitter de La publication Police militaire de la Force terrestre constitue le principal ouvrage de référence en ce qui a trait à la doctrine de la Police militaire de l’Armée de terre. Il s’appuie rigoureusement sur les principes fondamentaux énoncés dans les B-GL-300-001/FP-001, Conduite des opérations terrestres - Doctrine du niveau opérationnel de l’Armée de terre, B-GL-300-002/FP-001, Doctrine du niveau tactique de l’Armée de terre, et B-GL-300-003/FP-001, Le commandement. Il est également question de la doctrine de la Police militaire dans la B-GL-300-006/FP-001, Protection de la Force terrestre, qui devrait être publiée l’année prochaine. La doctrine de la Police militaire complète la politique, l’orientation et les procédures établies par les Forces canadiennes. Les ouvrages de référence des Forces canadiennes tels que l’Ordonnance administrative des Forces canadiennes 22-4, Services de sécurité et de Police militaire, et les publications A-SJ-100-004/AG-000, Canadian 7 Nouveau manuel de doctrine de la Police militaire, Encart — Police militaire de l’Aide-mémoire tactique, structure et normes d’aptitude au combat epuis que la Direction de la doctrine de l’Armée de terre (DDAT) et la Direction de l’instruction de l’Armée de terre (DIAT), ont vu le jour en 1996, beaucoup d’efforts ont été consacrés à doter l’Armée de terre d’une doctrine moderne et de normes d’instruction pertinentes. Mentionnons entre autres l’élaboration d’un manuel de doctrine de la Police militaire, de l’Encart - Police militaire de l’Aidemémoire tactique ainsi que de normes d’aptitudes au combat de la Police militaire. En outre, il y a eu validation des structures de doctrine élaborées à l’époque par le QG CFT, à Saint-Hubert. Le présent article constitue donc une initiation aux manuels de doctrine et de procédures de la Police militaire maintenant mis au service de l’Armée de terre. Tous les policiers militaires, qu’ils soient affectés à la Force régulière ou à la Réserve, disposent maintenant de manuels à jour qui peuvent les guider dans l’exécution de leurs fonctions opérationnelles au sein de l’Armée de terre. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre Forces Military Police Policies and Technical Procedures 2 , et A-SJ-100-001/AS-001, Instructions de sécurité de la Défense nationale 3 restent en vigueur en matière d’opérations et ont préséance sur la doctrine. Ils servent à orienter les officiers de sécurité quant à l’affectation des policiers militaires à certaines tâches de police militaire et de sécurité et ils décrivent les modalités qui régissent l’exécution de ces tâches, conformément aux dispositions énoncées par le Grand Prévôt des Forces canadiennes, qui assure le contrôle technique de certaines de ces tâches. La Police militaire a pour rôle d’assurer les éléments essentiels de commandement et de contrôle aux commandants, en exécutant quatre fonctions : soutien à la mobilité, sécurité, détention et opérations policières. L’ouvrage de doctrine de la Police militaire compte six chapitres et décrit comment la Police militaire s’y prend pour remplir son rôle. Le Chapitre 1 présente les principes fondamentaux des opérations de l’Armée de terre et le Chapitre 2 les principes généraux qui régissent le travail de la Police militaire, tandis que les Chapitres 3 à 6 décrivent la doctrine telle qu’elle s’applique aux quatre fonctions de la Police militaire : priorité à soumettre à l’approbation du commandant. Une matrice des fonctions de la Police militaire ainsi que des tâches connexes figure à l’annexe A du manuel de doctrine de la Police militaire. Cette annexe définit, pour chaque tâche, les secteurs de responsabilité aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique du conflit. Elle donne donc un aperçu des responsabilités qui incombent à la Police militaire d’un bout à l’autre du spectre du conflit illustré à la Figure 2, en plus de préciser le niveau de commandement auquel revient l’exécution de ces tâches. D’après la doctrine de l’Armée de terre en vigueur, le conflit existe à trois niveaux : stratégique, opérationnel et tactique. Le succès des opérations de la Police militaire repose donc sur l’intégration réussie des activités de la Police militaire à ces trois niveaux. Vu la quantité limitée de ressources, il y a donc lieu d’éviter tout double emploi et par conséquent de coordonner les efforts déployés par la Police militaire PAIX dans l’ensemble du Canada, au niveau des unités opérationnelles comme les unités de police militaire des Forces canadiennes ou le Service national des enquêtes (SNE) des Forces canadiennes, et ceux des unités de niveau tactique de l’Armée de terre. Pour ce qui est des opérations policières et de détention, elles relèvent des Forces canadiennes et, règle générale, elles ne peuvent pas être déléguées à la Police militaire d’une formation alliée. Malgré la recherche de collaboration avec d’autres forces et la constitution d’unités multinationales, les activités de telle nature sont habituellement confiées à des unités ou détachements de la Police militaire canadienne. Quant aux opérations de mobilité et de sécurité, elles exigent une coordination de toutes les forces policières concernées, tant civiles que militaires, tant alliées que canadiennes, pour s’avérer efficaces. À ces égards, la doctrine de la Police militaire de la Force terrestre concorde avec tous les accords OTAN, et plus particulièrement CONFLIT GUERRE k soutien à la mobilité; k sécurité; Opérations autres que la guerre De la Direction de la doctrine de l’Armée de terre k détention; k opérations policières. Étant donné les principes d’emploi en vigueur et conformément à l’approche manœuvrière aux opérations, la Police militaire de l’Armée de terre fournit un soutien intégral essentiel aux unités, un appui rapproché centralisé aux formations jusqu’au point le plus avancé possible et un soutien général centralisé éloigné des activités de combat dans le secteur des opérations. Comme les unités de la Police militaire ne peuvent s’adonner à toutes les tâches nécessaires en même temps, le Grand Prévôt doit établir un ordre de 8 Guerre Réaction militaire stratégique stratégique Opérations autres que le combat Moyens militaires opérationnels Opérations de combat Figure 2 : Superposition du continuum des opérations et du spectre du conflit. Vol. 3, no. 2, été 2000 Tel que nous l’avons déjà vu, les responsabilités de la Police militaire sont regroupées en quatre fonctions qui s’appliquent à l’ensemble du spectre du conflit : k soutien à la mobilité, k sécurité, k détention, k opérations policières. Une brève description de chacune de ces fonctions est présentée cidessous. Que ce soit en temps de paix, dans le cadre d’opérations de soutien de la paix ou en temps de guerre, la Police militaire accomplit des tâches qui sont propres à chaque fonction. Le fait que l’accent porte sur une fonction plutôt que sur une autre dépend du type ou de la phase de l’opération en cours, mais il n’en demeure pas moins que la Police militaire doit continuer de s’acquitter de toute la gamme de ses responsabilités. Opérations de soutien à la mobilité. La Police militaire appuie le commandant en veillant à l’écoulement ininterrompu de la circulation dans son secteur d’opération. Le contrôle efficace de la circulation, l’application de la réglementation sur la circulation, le contrôle des isolés, le contrôle des déplacements de population et l’éventuelle surveillance NBC sont autant de moyens d’améliorer la mobilité sur tout le réseau. Les commandants de mission doivent accorder une discrétion et une souplesse accrues à leurs subalternes. Sur un champ de bataille isolé, les commandants laissent leurs subalternes manœuvrer plus librement dans leur secteur d’opération, souvent plus étendu que par le passé. Les unités aux activités moins prévisibles, très mobiles et meurtrières doivent généralement engager rapidement le combat pour être efficaces. La Police militaire appuie ces unités en s’assurant que les ressources voulues sont concentrées au bon endroit au bon moment pour une action décisive. Tel est le mandat de la Police militaire en situation de guerre. Opérations de sécurité. La Police militaire appuie le commandant en collaborant à l’aménagement et au maintien d’un environnement protégé où s’établissent les unités et les soldats. La mise en œuvre de mesures de sécurité efficaces, aussi bien avant que pendant les opérations, confère un important avantage tactique au commandant. La Police militaire met l’accent sur les conseils en matière de sûreté pour empêcher des services du renseignement ennemis ou des éléments criminels de s’approprier des données de renseignement, y compris celles qui ont trait aux activités et installations, au matériel ou à d’autres ressources des forces amies. major clés comme partie intégrante du processus de planification opérationnel (PPO), qui fait l’objet d’une description préliminaire dans le manuel sur le commandement. Le manuel de doctrine concernant la sécurité de la Force terrestre, à savoir la publication B-GL-365-000/FP-001, est en cours de rédaction et il contiendra les responsabilités de commandement. Il pourrait se traduire par l’affectation, au personnel de la Police militaire et du Grand Prévôt, de responsabilités accrues qui ne figuraient pas dans les Consignes de la Police militaire. Le manuel de doctrine sur la sécurité doit refléter fidèlement les manuels de doctrine autorisée en matière d’opérations de protection et d’information. Tous les commandants sont tenus de protéger leurs opérations, activités, installations, personnel, données et matériel. On entend par protection l’ensemble des moyens, ressources et mesures mis à la disposition des commandants pour assurer une telle prévention en temps de paix et à tous les niveaux de conflit et pour contribuer à la sécurité tactique globale. L’un des volets de la protection d’une force est la sûreté, dont il a déjà été question. Les commandants qui tentent d’établir une posture de sécurité uniforme doivent coordonner leurs ressources interarmées, multinationales et interorganismes limitées en matière de sécurité de manière à les placer au bon endroit au bon moment. Opérations de détention. La Police militaire appuie le commandant en veillant à ce que les soldats devant être mis sous garde militaire soient détenus dans des installations adéquates surveillées par le Police militaire conformément aux règlements en vigueur. L’appui ainsi apporté aide les commandants à maintenir la discipline et le moral, deux éléments cruciaux à la cohésion de l’unité. La Police militaire assure également la garde des civils qui ont été appréhendés dans un secteur d’opérations relevant du Canada. En outre, elle doit se charger des prisonniers de guerre dès leur capture et les évacuer rapidement de la zone de combat. Elle réduit ainsi le fardeau administratif des commandants et leur permet de se concentrer sur le combat. La Police militaire s’assure également de l’application rigoureuse de tous les règlements énoncés dans les conventions de Genève qui ont trait aux prisonniers de guerre. Une fois la sécurité assurée, le commandant est libre de passer à l’action dans un environnement où la menace qui pèse sur les opérations et les forces est réduite. La planification de la sécurité suppose la collaboration d’un certain nombre d’officiers d’état- Enfin, les unités de la Police militaire gèrent le fonctionnement des installations de détention et coordonnent l’évacuation des prisonniers vers l’arrière. Bref, les opérations de détention comptent trois catégories d’activités : 9 Nouveau manuel de doctrine de la Police militaire, Encart — Police militaire de l’Aide-mémoire tactique, structure et normes d’aptitude au combat l’APP-12, NATO Military Police Doctrine and Procedures (en cours de rédaction). Vol. 3, no. 2, été 2000 DE LA DIRECTION DE L’INSTRUCTION DE L’ARMÉE DE TERRE LA NOUVELLE PHILOSOPHIE DE L’INSTRUCTION ans le dernier numéro du Bulletin de doctrine et d’instruction de « À notre avis, toutefois, l’Armée l’Armée de terre, la DIAT exposait la nature dysfonctionnelle de l’instruction canadienne a aussi eu le malheur de compter au niveau collective dans l’Armée de terre. Dans celui-ci, elle trace la voie à suivre en régimentaire un certain nombre présentant les principes fondamentaux d’officiers qui avaient une applicables à l’instruction – individuelle attitude désinvolte et peu et collective – de l’Armée de terre qui étayent la nouvelle philosophie de rigoureuse envers l’instruction l’instruction énoncée dans la B-GL-300- plutôt qu’un sentiment d’urgence 008 qui décrit la façon dont l’Armée du et une vision scientifique : tout Canada devrait s’entraîner en vue du comme le traditionnel acteur combat. Elle sera le principal ouvrage de référence en matière d’instruction destiné amateur, ils étaient joyeusement à l’Armée de terre et inclura les éléments confiants que “tout se passerait de la philosophie et de la stratégie de l’instruction que la compréhension exige. bien” sans qu’ils aient à faire un bien grand effort. » L’ensemble des lecteurs couvre tout l’éventail des grades, des nouveaux chefs (traduction libre) subalternes aux commandants supérieurs, soit essentiellement toutes les Col C. P. Stacey personnes qui en commandent d’autres Histoire officielle de l’Armée et celles qui jouent un rôle dans la planification et l’exécution des canadienne au cours de la Seconde Guerre mondiale programmes d’instruction. Le document explique le système de l’instruction de l’Armée de terre, c’est-à-dire les méthodes instructeurs de l’Armée de terre auront qui favorisent le perfectionnement tous un rôle à jouer dans la mise en oeuvre professionnel grâce à une gestion de la nouvelle philosophie de intégrée des systèmes d’instruction l’instruction de l’Armée de terre et ils individuelle et collective de l’Armée de devraient lire ce qui suit d’un oeil critique. terre et du cycle des opérations de l’Armée de terre. L’approche systémique LES PRINCIPES DE L’INSTRUCTION énoncée dans la B-GL-300-008 est fondée sur neuf principes d’instruction qui guident les commandants quand ils « L’instruction est un grand art : conçoivent les activités d’instruction et s’il existe des principes de la qui sont des éléments fondamentaux qui permettent de juger de l’efficacité de guerre, il existe aussi des l’instruction. Nous les décrivons ici afin principes de l’instruction. » de préparer le terrain en vue de la (traduction libre) publication de la B-GL-300-008 – qui paraîtra en septembre 2000 sous forme Le maréchal d’ébauche dans toute l’Armée de terre, la Bernard Montgomery version finale étant prévue pour le début de 2001. Les commandants et les L’INSTRUCTION RELÈVE DU COMMANDEMENT L’instruction est une fonction du commandement. C’est le moyen par lequel un commandant façonne et influence les soldats et par lequel il ou elle inculque à ses subordonnés les compétences et la confiance requises pour réussir. Il s’ensuit que tous les commandants qui désirent commander des forces bien entraînées et capables d’exécuter leurs plans devraient être des instructeurs compétents. Les commandants ont à tous les niveaux le devoir de former leurs subordonnés et de voir à leur perfectionnement professionnel afin de les préparer à occuper des postes d’un niveau de responsabilité accru. Les commandants doivent donc jouer un rôle dans l’instruction, c’est-à-dire veiller à ce qu’elle soit bien organisée, pertinente et dispensée de façon compétente. Les commandants des unités et des formations doivent s’impliquer dans le processus de vérification des connaissances, car les commandants subalternes doivent bien comprendre l’intention de leurs supérieurs. Les commandants doivent aussi être intégrés aux mécanismes de rétroaction qui améliorent l’instruction des troupes et l’apprentissage de l’Armée de terre dans son ensemble : il s’agit notamment des examens post-action (EPA) et du processus des leçons retenues de l’Armée de terre. Les commandants doivent et former et éduquer leurs subordonnés. Ces deux activités sont complémentaires; l’instruction transmet les connaissances et les compétences techniques et relatives aux procédures qui sont nécessaires pour accomplir les fonctions assignées, tandis que l’éducation procure 13 La nouvelle philosophie de l’instruction D Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre une base de connaissances et de compétences intellectuelles qui permettent d’interpréter correctement l’information et de poser un bon jugement. En conséquence, les responsabilités du commandement comprennent la gestion de l’instruction individuelle et collective sanctionnée et l’expérience de travail — le perfectionnement professionnel — pour que les subordonnés en profitent tout au long de leur carrière. De la Direction de l’instruction de l’Armée de terre L’INSTRUCTION DOIT ÊTRE CONFORME À LA LOI Toute l’instruction doit être rigoureusement conforme au Droit des conflits armés, au Code criminel du Canada et à la Loi sur la défense nationale (article 130). Le Canada a la réputation d’être un pays démocratique éclairé et les valeurs canadiennes traduisent le plus grand respect pour la liberté et le bien-être de chacun et une attention égale à la primauté du droit. Dans l’Armée de terre du Canada, l’instruction doit toujours respecter les valeurs en question. Les commandants et les instructeurs ne doivent jamais oublier que les stagiaires, en particulier les recrues, retiennent tout ce qu’ils apprennent et voient à l’instruction, même si c’est illégal, déplacé ou contraire aux valeurs canadiennes. Le fait, pendant l’instruction, de ne pas corriger les infractions à la lettre comme à l’esprit de la loi donne au stagiaire une liberté funeste. Les actions sanctionnées au cours de l’instruction seront mises en pratique durant les opérations; si elles sont illégales, elles auront de graves effets débilitants sur la capacité opérationnelle de l’unité, son honneur, la fierté de l’Armée de terre du Canada et la réputation du Canada dans le monde. L’INSTRUCTION DOIT ÊTRE CONFORME À LA FAÇON DONT NOUS ENVISAGEONS LE COMBAT Le soldat canadien doit être prêt à s’acquitter de ses fonctions dans tout le spectre d’intensité des conflits, peu importe la forme que le conflit prend. La plupart des environnements de conflit exigent un mélange d’activités de combat et d’activités autres que le combat, même 14 si l’aspect relatif au combat reste une possibilité latente. Les soldats et les unités risquent fort de devoir réaliser les deux types d’activités le même jour dans le même secteur. Qu’ils se livrent à des tâches de combat ou à des tâches autres que le combat, la doctrine de l’Armée de terre du Canada exige que nos soldats sachent imposer leur volonté à leurs adversaires en arrachant et en conservant l’initiative opérationnelle. Pour ce faire, il faut d’abord et avant tout maîtriser les techniques de combat. Il faut aussi disposer de tactiques, techniques et procédures (TTP) judicieuses en vue des activités autres que le combat et faire preuve de jugement quand l’emploi de la force est envisagé, en particulier en ce qui a trait aux règles d’engagement. Les commandants ont la responsabilité de veiller à ce que la doctrine de l’Armée de terre soit mise en pratique et à ce que l’instruction reproduise de la façon la plus réaliste possible la nature complexe des conflits modernes et prépare adéquatement le soldat en vue de réduire les surprises et les chocs inévitables de la guerre. Pour permettre aux soldats de s’exercer à arracher et à conserver l’initiative, aucun aspect de l’instruction ne doit, si on dispose de moyens de simulation, être représenté par une « notion ». Les commandants sont responsables de veiller à ce que nos méthodes d’instruction correspondent à la façon dont nous envisageons le combat. UNE NORME OPÉRATIONNELLE UNIQUE Une armée aussi petite que celle du Canada ne peut avoir plus qu’un ensemble de normes d’instruction. Les normes en question doivent traduire les niveaux de capacité opérationnelle réalistes que les unités de la force de campagne peuvent conserver sur une période donnée. L’approche systémique de l’instruction de l’Armée de terre (ASIAT) commande les exigences en matière d’instruction individuelle dans toute l’Armée de terre. Les normes d’instruction individuelle sont codifiées dans diverses normes de qualification (NORQUAL) et dans les normes individuelles d’aptitude au combat (NIAC). Les normes en question sont fixées et tenues à jour par le SDIFT. Il en va de même de l’instruction collective : le CEMAT assigne des tâches opérationnelles et des ressources aux commandants des secteurs de la Force terrestre et le commandant du SDIFT désigne les normes d’aptitude au combat (NAC) particulières que les commandants de la force de campagne doivent atteindre quand ils s’entraînent en vue des tâches opérationnelles. Le commandant du SDIFT vérifie aussi les résultats de l’instruction de la force de campagne en la comparant aux normes prescrites. Les NAC demeureront donc les objectifs de rendement de l’instruction collective. Les normes d’instruction découlent toutes de la doctrine opérationnelle. La doctrine a été subdivisée en tâches de combat précises, qui correspondent toutes à une norme précise en termes de durée et d’exactitude, dont l’ensemble constitue la norme d’aptitude au combat. L’objectif de toute l’instruction collective est d’atteindre une NAC prescrite ou plus, tout comme les activités de l’instruction individuelle ont pour but d’atteindre les objectifs de rendement définis dans une NORQUAL. En conséquence, chaque instruction d’exercice devrait indiquer la NAC qui fait l’objet de l’exercice, décrire de façon précise le résultat attendu de l’instruction et définir la façon dont le succès sera mesuré. Le commandant du SDIFT est l’autorité pour ce qui est de toutes les normes d’instruction de l’Armée de terre, mais son mandat n’empêche pas la pratique du commandement de mission pour ce qui a trait à l’instruction. Les commandants sont à tous les niveaux libres de se servir de leur initiative et de leur imagination dans la conception et l’exécution de l’instruction collective, mais c’est l’autorité en matière d’instruction de l’Armée de terre qui fixe et qui confirme l’ampleur des activités d’instruction qu’ils réalisent et les points sur lesquels l’instruction met l’accent. Cette mesure garantit que l’instruction atteint une norme élevée commune et qu’elle correspond aux besoins opérationnels. L’INSTRUCTION DOIT ÊTRE CONFORME AUX BESOINS Les unités de l’Armée de terre ne peuvent pas toutes en même temps essayer d’atteindre le niveau de capacité opérationnelle le plus élevé (c’est-à-dire Vol. 3, no. 2, été 2000 De même, l’instruction individuelle doit satisfaire dans son ensemble à une exigence précise en matière de qualification qui découle des besoins de la tâche du militaire ou des connaissances pratiques et théoriques requises au cours de la période de perfectionnement (PP) suivante. L’instruction conforme à la description de spécialité (DS) ne devrait être donnée que lorsqu’une unité prévoit une pénurie de personnel formé (y compris les excédents autorisés). Les besoins en instruction individuelle sont déterminés à partir des listes de qualification des unités (LQU) de l’Armée de terre et du niveau de capacité opérationnelle existant de l’unité. Une demande d’instruction individuelle conforme à la DS peut être rejetée si les critères qui précèdent ne sont pas respectés. La LQU a pour but d’aider à déterminer les types de demandes de qualification particulières (DQP) et leur nombre, y compris les éléments excédentaires occupant des postes opérationnels, qu’une unité doit compter pour être apte à mener des opérations. C’est une mesure de contrôle de l’efficience qui limite la formation d’un trop grand nombre de personnes qualifiées, car ces dernières utilisent des ressources peu abondantes qu’il serait préférable de consacrer à d’autres impératifs d’instruction opérationnelle. Le rythme des opérations oblige à l’occasion les sous-unités à changer de rôle. Bien que ce puisse être nécessaire, il faut se rappeler que donner aux soldats une formation destinée à leur faire exercer les fonctions relevant d’une description de groupe professionnel militaire (DGPM) d’un autre groupe professionnel militaire (GPM) exige beaucoup des ressources d’instruction. Cette situation érode aussi les compétences des GPM de base des sous-unités, de sorte que d’autres ressources doivent être affectées lorsque la sous-unité retrouve son rôle fondamental. C’est le Chef d’état-major de l’Armée de terre qui a le pouvoir de modifier le rôle des sous-unités. LES RESSOURCES DOIVENT S’ACCORDER AUX TÂCHES La DOSFT renferment le tableau de l’instruction et des tâches de l’Armée de terre, qui fixe le niveau de formation prescrit à l’égard de chacune des tâches du Guide de planification de la Défense (GPD). À chaque tâche correspondent un ensemble de NAC qu’il faut atteindre et des ressources qui sont attribuées pour que le niveau de capacité requis soit atteint. En principe, les ressources sont « soudées » à la tâche, car il n’est pas possible d’assigner une tâche si les ressources nécessaires à son exécution ne sont pas fournies, ni possible de retirer des ressources sans que la tâche soit réduite. Les commandants ont à tous les niveaux la responsabilité d’atteindre le niveau d’instruction prescrit dans la DOSFT dans les limites de l’enveloppe de ressources attribuée. Si, pour quelque raison que ce soit, la chose est jugée irréalisable, le commandant qui porte ce jugement doit expliquer à son supérieur la nature des risques qui semblent peser sur la capacité opérationnelle. Le commandant supérieur doit soit régler le problème, soit assumer le risque et le signaler au palier de commandement suivant. Un commandant supérieur ne peut que dans des circonstances extrêmes assigner une tâche d’instruction à un subordonné quand il sait que les ressources ne permettent pas de l’accomplir. Le cas échéant, c’est toute la chaîne de commandement qui doit être mise au courant des risques en cause. L’INSTRUCTION DOIT ÊTRE PROGRESSIVE L’instruction que l’Armée de terre donne doit être progressive. Le militaire doit acquérir certaines compétences avant de pouvoir prendre efficacement part à l’instruction en équipe et les équipes, les équipages ou les sections doivent atteindre un certain niveau de compétence collective avant de pouvoir réussir l’instruction au niveau de la troupe ou du peloton. Bien entendu, les troupes et les pelotons doivent devenir compétents avant de passer à l’instruction au niveau de la compagnie ou de l’escadron et à l’instruction interarmes. L’Armée de terre a une approche à l’instruction structurée et progressive qui compte sept niveaux (décrits à la B-GL-300-008, chapitre 3), du niveau individuel au niveau de la formation. Chaque niveau se subdivise en trois stades d’instruction : la formation préliminaire, la mise en pratique et la vérification des connaissances. Les soldats devraient passer par les trois stades avant de passer d’un niveau à l’autre. Ce point est important, car lui seul garantit la maîtrise des compétences et une compréhension commune des IPO et des TTP et garantit que l’ensemble des membres d’une unité ou d’une formation comprend l’intention du commandant supérieur. Les commandants qui peuvent observer leurs commandants subalternes et leurs troupes au cours d’activités d’instruction progressives vont avoir l’avantage de veiller à ce que l’intention du commandant de la formation soit comprise. La cohésion croît à cet égard de façon distincte à chaque stade et à chaque niveau d’instruction. Un commandant court un risque quand il comprime la structure progressive de l’instruction; c’est un risque qui se 15 La nouvelle philosophie de l’instruction le niveau de capacité pour le déploiement — ou NCD). L’Armée de terre doit, en vue de l’instruction qui vise à permettre à certaines de ces unités d’atteindre ou de conserver ce niveau de capacité, leur affecter une part supérieure de ses ressources d’instruction, ce qui signifie également que d’autres ne pourront s’entraîner qu’en fonction du niveau fondamental de capacité (NFC) ou du niveau minimum de capacité (NMC). De la sorte, l’instruction concorde avec les tâches opérationnelles énoncées dans la Directive stratégique sur les opérations et ressources (DOSFT) et les unités chargées d’accomplir des missions qui exigent le NCD reçoivent l’essentiel des ressources d’instruction de l’Armée de terre. D’après ce que nous prévoyons, ces unités vont continuer d’être désignées de façon cyclique. Par conséquent, les plans d’instruction et d’exercice des unités et des formations doivent traduire la situation opérationnelle courante de l’unité ou de la formation, qui doit s’entraîner en fonction des tâches opérationnelles qui sont les siennes. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre manifeste dans le manque de compétence au niveau individuel et le manque de cohésion des groupes. L’INSTRUCTION DOIT ÊTRE VÉRIFIÉE La vérification des connaissances relatives à une NAC particulière applicable à l’instruction que les soldats reçoivent à un niveau particulier doit être supervisée par le commandant deux niveaux plus haut (autrement dit par le commandant de l’unité, dans le cas de l’instruction relative à une NAC qui se donne au niveau de la troupe ou du peloton). Si la vérification donne de bons résultats, les soldats passent au niveau d’instruction suivant. Dans le cas contraire, les tâches de combat qui sont déficientes sont de nouveau mises en pratique et vérifiées une nouvelle fois. Le passage au niveau suivant ne devrait avoir lieu qu’une fois toutes les NAC prescrites applicables à ce niveau vérifiées. De la Direction de l’instruction de l’Armée de terre La vérification des connaissances devrait être perçue comme un élément d’une méthode d’apprentissage collectif et non comme un outil d’évaluation destiné aux commandants à un niveau donné. Il faut considérer les erreurs comme un élément fondamental de l’instruction collective et de l’apprentissage en équipe et elles devraient être considérées comme un aspect positif d’une instruction opérationnelle honnête. Il faut respecter le principe de la vérification « deux niveaux plus bas ». Les chefs qui forment leurs subordonnés sont trop proches de ces derniers pour procéder à une vérification impartiale et objective. Les plans d’instruction devraient donc être transmis deux niveaux plus haut et le commandant à qui le plan a été communiqué doit vérifier la réussite de l’activité d’instruction. Cette façon de faire reconnaît que la réussite et l’échec procèdent autant d’un « climat de commandement » sain que de la qualité des techniques d’instruction. Les chefs ne devraient jamais, quel que soit le niveau, vérifier les résultats de la formation qu’ils dispensent eux-mêmes. TOUTE L’INSTRUCTION DOIT FAIRE L’OBJET D’UNE ANALYSE Chaque niveau d’instruction se subdivise en trois stades distincts : la formation préliminaire, la mise en pratique et la vérification des connaissances (voir la 16 B-GL-300-008, chapitre 2). Les commandants qui donnent et qui observent l’instruction peuvent à chaque stade procéder à un examen post-action (EPA). L’EPA est une discussion professionnelle d’une activité d’instruction (ou d’une opération) qui met l’accent sur des normes de rendement (NAC) et qui permet aux soldats de comprendre ce qui s’est passé, la raison pour laquelle les choses se sont passées ainsi, ce qui aurait dû se passer et la marche à suivre pour conserver les points forts ou corriger les points faibles. L’EPA permet aussi aux commandants de constater la mesure dans laquelle les soldats de l’ensemble du commandement comprennent le concept des opérations et leur intention (explicite et implicite). Enfin, ce qui est le plus important, le processus de l’EPA constitue un mécanisme de rétroaction qui permet au Système de la doctrine et de l’instruction de l’Armée de terre de recueillir de l’information. Elle fournit les données qui sont nécessaires pour examiner et modifier comme il se doit les IPO locales, la doctrine de l’Armée de terre et les TTP. Des EPA informels se font à tous les niveaux à tous les stades de l’instruction et des EPA formels dans tous les cas où l’on dispose des ressources voulues. La participation du personnel du Centre des leçons retenues de l’Armée de terre au processus de l’EPA va davantage institutionnaliser l’apprentissage au sein de l’Armée de terre. CONCLUSION C’est par l’instruction que les commandants gèrent le perfectionnement professionnel de leurs subordonnés et l’instruction est le moyen par lequel ils forgent des unités prêtes à mener des opérations et aptes au combat. Bien que l’instruction doit toujours relever du commandement et que le processus est entraîné par la créativité et les observations à caractère critique d’un commandant, il ne faut pas oublier que l’Armée de terre a une approche systémique de l’instruction qui fixe de façon précise pour le commandant de chaque force de campagne l’ampleur des activités d’instruction et les points sur lesquels l’instruction met l’accent. L’Armée de terre exige aussi que les commandants donnent une instruction qui soit conforme à la lettre et à l’esprit de la loi. Nos soldats ont également besoin d’une instruction réaliste à laquelle les commandants consacrent toutes les ressources affectées dont ils disposent pour que l’instruction soit conforme à la façon dont nous envisageons le combat. Les activités d’instruction doivent toutes être conçues et mesurées à l’aide des normes opérationnelles communes qui sont intégrées aux NAC de l’Armée de terre. Le CEMAT désignera les unités et les formations qui recevront l’essentiel des ressources d’instruction de l’Armée de terre, et les ressources attribuées aux unités qui ne sont pas tenues d’atteindre le NCD vont traduire les deux principes selon lesquels l’instruction doit être conforme aux besoins et les ressources doivent s’accorder aux tâches. Peu importe la situation d’une unité du point de vue de l’instruction, l’instruction doit dans tous les cas se faire de façon progressive, les connaissances étant vérifiées avant le passage au niveau supérieur. Il convient aussi de recourir libéralement au processus de l’EPA pour améliorer la qualité de l’instruction collective et garantir la diffusion de l’intention implicite du commandant. Le respect de ces principes garantira que l’Armée de terre du Canada forme au niveau individuel un personnel très compétent et des unités et des formations cohérentes aptes à être déployées et prêtes au combat, ce qui constitue notre centre de gravité. La B-GL-300-008 reproduira ces principes et les développera. Il est capital que tous les commandants et tous les instructeurs de l’Armée de terre comprennent les principes en question, afin d’en assurer la mise en pratique comme il se doit. Vol. 3, no. 2, été 2000 PUISSANCE DE FEU 2020 EST-CE LA FIN DE L’APPUI RAPPROCHÉ? Le colonel M.D. Capstick, CD ET LES DIVERSES OPTIONS POUR L’AVENIR « La menace à laquelle nous ferons face au début de ce nouveau siècle ne sera pas tellement du type Tempête du désert, mais plutôt du type Tchétchénie. » À l’aube du nouveau millénaire, l’Armée de terre du Canada entreprend une vaste revue de ses capacités, de ses structures et de ses concepts afin d’assurer son efficacité opérationnelle dans l’avenir. La majorité de ce travail d’examen a jusqu’à maintenant porté sur diverses options stratégiques d’avenir et sur l’application des nouvelles technologies à la guerre moderne. Ces options stratégiques pour l’avenir sont clairement décrites dans le rapport du directeur des Concepts stratégiques (Opérations terrestres) intitulé Le contexte de sécurité futur. 2 Essentiellement, ces options stratégiques pour l’avenir représentent les extrémités d’un spectre (ou d’un continuum) qui s’étend des conflits conventionnels entre entités nationales (les descendants de la Tempête du désert) jusqu’aux conflits asymétriques qui ressemblent plutôt à la guerre de Tchétchénie. 3 Pour faire face à ces options stratégiques d’avenir, les options du Canada en matière de stratégie militaire et de structure de la force 4 semblent fermement ancrées dans les solutions de haute technologie et dans les déductions faites à partir de ce qui s’appelle la Révolution dans les affaires militaires (RAM). c’est-à-dire le groupement tactique et la brigade. Elle sera équipée de véhicules blindés légers munis de certains des dispositifs technologiques sur lesquels se fondent les concepts de la RAM. Même si elle sera en mesure d’exécuter des missions de niveau opérationnel 6 , ces missions seront exécutées par l’intermédiaire de combats tactiques. Pour le soldat et le commandant de l’équipe de combat et du groupement tactique, ces batailles feront partie du combat rapproché. Les concepts de manœuvre dominante et d’engagement de précision à longue portée sont intrinsèquement stratégiques et opérationnels.7 En dépit de leur validité à ces niveaux, il faut les appliquer différemment au niveau où le véhicule blindé léger (VBL) III abaisse sa rampe ou lorsque l’équipage du Coyote tente de franchir un endroit dangereux. Cet article ne prône pas l’ascendance de l’une ou l’autre de ces options d’avenir en particulier, pas plus qu’il ne discute des mérites de la RAM.5 Quelle que soit l’importance de ces débats connexes, la réalité est que l’armée de combat de l’an 2020 sera encore orientée sur le niveau tactique, Il est également essentiel de noter que l’application des concepts américains de l’Army After Next (AAN) continue d’être testée et mise à l’épreuve par l’intermédiaire de toute une série de jeux de guerre et de simulations.8 Ces jeux et simulations ont remis en question beaucoup des Général Charles C. Krulak, USMC1 [Traduction] hypothèses de l’AAN et, lorsque leurs résultats sont combinés à une meilleure compréhension de l’incertitude qui caractérise l’avenir stratégique, ont débouché sur une évaluation beaucoup plus réaliste de la capacité de la technologie d’offrir des victoires sans effusion de sang dans les conflits de l’avenir. Le major-général Robert Scales, un des chefs les plus influents du groupe d’étude sur l’AAN, est arrivé aux conclusions suivantes : …la technologie n’est que l’une des nombreuses influences qui s’exerceront sur la conduite et l’issue des opérations militaires, une influence elle-même conditionnée par la nature, l’étendue et l’environnement local du conflit, le caractère et les objectifs des combattants, l’attitude des publics locaux, domestiques et internationaux et, par-dessus tout, les enjeux politiques au cœur du conflit.9 [Traduction] Cette conclusion touche l’essence du contexte politique, social, philosophique et fiscal des politiques canadiennes en matière de défense, de sécurité et de relations étrangères. Elle devrait également avoir une incidence directe sur les décisions qu’il faudra prendre sur la structure de la force, l’équipement et les concepts opérationnels de l’avenir. PUISSANCE DE FEU — ENGAGEMENT DE PRÉCISION Même si le concept d’engagement de précision fait miroiter l’espoir de victoires sans effusion de sang et même 17 Puissance de feu 2020 : Est-ce la fin de l’appui rapproché? L ’ARMÉE DE TERRE DU CANADA Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre Le colonel M.D. Capstick « L’engagement de précision, s’appuyant sur l’attrition exécutée par des armes longue distance, pourrait causer des dommages à l’ennemi tout en comportant un faible risque de pertes, mais il est difficile de croire qu’il garantira le succès. L’attrition est en effet très lente à produire des résultats décisifs. Les armes efficaces dans les grands espaces dégagés du désert ne seront pas nécessairement suffisantes en forêt, dans les montagnes ou dans les milieux urbains où la puissance de feu de précision est désavantagée. »10 [Traduction] si les systèmes de guidage de précision ont produit des résultats remarquables dans les récents conflits, ces deux éléments ne sont clairement pas une panacée. Essentiellement, l’engagement de précision est le descendant technologique des méthodes de guerre d’attrition qui ont dominé l’art de la guerre américain depuis un siècle et demi. À elle seule, l’attrition n’a jamais produit les résultats décisifs requis pour obtenir la victoire à la guerre, et n’y parviendra jamais. Les cent derniers jours de la Première Guerre mondiale, la percée sur les plages de Normandie et l’impasse des deux dernières années du conflit en Corée prouvent amplement cette avancée. Les méthodes d’attrition utilisées dans ces guerres privilégiaient la quantité sur la précision et, malgré le carnage obtenu, n’ont pas été décisives. Il en va de même du concept d’engagement de précision. « Les effets de l’attrition sont habituellement passagers. L’attrition ne comporte pas de fonction contraignante qui obligerait l’ennemi à se plier aux volontés de la force amie, même après une dévastation de grande proportion. »11 [Traduction] En cette matière, il suffit de comparer les dommages massifs infligés aux infrastructures serbes par les frappes aériennes de l’OTAN et le niveau relativement bas de dommages subis par les forces de l’armée nationale yougoslave déployées au Kosovo pour comprendre l’incapacité de l’engagement de précision de finir le travail. Dans la réalité, la situation se complique davantage à cause des 18 caractéristiques des conflits modernes : l’effet CNN, l’aversion face aux pertes chez les civils, le coût exorbitant des armes de précision et l’impératif politique d’éviter les pertes amies. Cela ne veut pas dire que les armes de précision ne peuvent influer sur le combat ou sur l’issue d’une opération. Il faut plutôt voir que ces armes offrent un potentiel étonnant aux niveaux stratégique et opérationnel lorsqu’elles sont utilisées de concert avec d’autres préceptes de l’AAN. Voici ce que Scales conclut : Dans l’application de la puissance de feu, notre objectif doit être d’exploiter son énorme effet paralysant pour prendre l’avantage. Pour obtenir une victoire décisive et rapide à faible coût dans l’avenir, nous devrons avoir la capacité de mener le combat rapidement et de le terminer proprement, de préférence au moment où l’effet paralysant de la puissance de feu est à son maximum. La meilleure garantie de victoire est le recours aux forces de manœuvre sur le terrain. 12 [Traduction] Le moment auquel l’effet paralysant de la puissance de feu est à son maximum est largement fonction du niveau de commandement. Au niveau stratégique, ce moment pourrait durer des jours ou même des semaines comme cela a été le cas dans la récente campagne en Yougoslavie. Par contre, au niveau opérationnel, il pourrait ne s’écouler que quelques heures avant que l’ennemi ne commence à récupérer et à sortir de sa paralysie. Enfin, au niveau tactique, l’effet paralysant ne dure habituellement que quelques minutes. Il est clair que l’action décisive des forces de manœuvre doit s’articuler en fonction de ce paradigme. Si l’engagement de précision à longue distance n’est pas, à lui seul, l’outil de la victoire aux niveaux stratégique et opérationnel, il l’est encore moins au niveau tactique dans le combat rapproché. Dans les conflits du type Tchétchénie, les combattants utiliseront tous les moyens à leur disposition pour éroder les effets des armes de précision. Ils se réfugieront dans les milieux urbains et se disperseront dans des terrains complexes comme les montagnes et les forêts. Ils utiliseront des leurres et communiqueront à l’aide de moyens qui résisteront à nos efforts pour obtenir la supériorité au plan de l’information.13 La seule façon d’obtenir la victoire consistera à contrôler le terrain dont l’ennemi a besoin pour sa survie.14 En résumé, « … il sera toujours nécessaire d’envoyer le fantassin à la rencontre de l’ennemi pour lui livrer un combat personnel et brutal. » [Traduction]15 Comme l’Armée de terre du Canada de l’année 2020 sera, à cause de sa nature intrinsèque, employée dans des opérations sous forme de groupement tactique et de brigade (même dans des scénarios du type Tempête du désert), il est essentiel que son système de puissance de feu soit conçu principalement pour le combat rapproché. Vol. 3, no. 2, été 2000 COMBAT RAPPROCHÉ Le genre de puissance de feu requis pour permettre la manœuvre en combat rapproché doit protéger la force pendant qu’elle s’approche à portée d’échange de tirs car il n’y a pas d’autre façon de s’assurer que l’effet paralysant du tir et l’effet de choc d’une attaque bien coordonnée se combinent pour produire la victoire. De Czege et Echevarria ont décrit cet effet combiné comme « la défaite par désintégration ».17 Dans ce contexte, la puissance de feu « … ne fait pas que détruire, elle anéantit psychologiquement les soldats et les désorganisent. Cet effet permet l’arrivée rapide de troupes sur le terrain qui prennent contrôle de la situation locale avant que cette paralysie passagère ne disparaisse … » 18 [Traduction] Autrement dit, le problème des 300 derniers mètres demeure bien réel, malgré les nouvelles technologies et la RAM. Le major-général Ernst a conclu que : « … franchir la distance finale sous le tir ennemi et sans le bénéfice de l’effet suppressif et destructif du tir indirect est plus que de la folie, c’est du suicide. »19 [Traduction] Dans l’atmosphère d’enthousiasme initial qui a suivi l’issue de la guerre du golfe, particulièrement à l’égard des aspects technologiques de la RAM, de nombreux analystes ont conclu que toute la puissance de feu devrait être contrôlée par des liens « capteurtireur » et que la technologie du guidage de précision devrait être appliquée à tous les systèmes de puissance de feu. Ces idées ont été à la source du travail de développement de systèmes américains de l’avenir comme le Crusader (le remplaçant du M109 Palladin pour le prochain siècle) et le système de roquettes d’artillerie à grande mobilité (HIMARS) (une version plus légère, sur camion, du très efficace LRM). Ces systèmes ont été conçus dans l’optique de l’engagement de précision et sont idéals pour l’engagement de l’artillerie, des mortiers, compte du rôle réel de l’OOA/CB, à savoir de planifier et de coordonner l’application de la puissance de feu, de conseiller le commandant de manœuvre et d’assurer la liaison. Autrement dit, l’OOA est beaucoup plus qu’un capteur et s’apparente plutôt à un chef d’orchestre qui contrôle toute la puissance de feu se trouvant très proche de la force de manœuvre. Au sein de toute force structurée pour le combat rapproché, cette fonction n’est « Le combat à des distances plus pas un luxe, mais plutôt un besoin courtes que la portée efficace essentiel.20 Cette affirmation est plus maximale et jusqu’à la portée des qu’une opinion, elle a fait l’objet de échanges de tirs est l’essence du débats dans l’Armée américaine depuis combat rapproché. Pour de nombreuses années et est réitérée s’approcher à de telles distances dans d’innombrables comptes rendus tout en conservant l’espoir de gagner post-action (CPA) du National Training la bataille et de survivre à titre de Centre et du Joint Readiness Training force de combat efficace, le Centre.21 Les opérations sont de plus commandant de manœuvre se fie au en plus complexes et, en conséquence, tir indirect rapproché fourni par les 16 les commandants doivent envisager un mortiers et l’artillerie.» éventail de combinaisons capteur-tireur [Traduction] Major-général Carl F. Ernst, plus large que jamais auparavant, Armée des États-Unis doivent avoir à leur disposition une gamme beaucoup plus grande de systèmes et doivent tenir compte de manœuvre engagées dans le combat toutes sortes d’autres facteurs rapproché. Ces systèmes de puissance compliqués comme la sécurité des de feu sont en réalité les descendants troupes, les dommages collatéraux et de l’artillerie d’appui général (tir en l’incidence potentielle au plan profondeur) des conflits du passé et stratégique des décisions tactiques de représentent un progrès considérable bas niveau. Dans cette vision de en matière de précision et d’efficacité. l’avenir, ce serait une erreur grave que Ils sont cependant totalement de se défaire d’un système défendu par inappropriés pour l’appui rapproché des les commandants les plus expérimentés forces de manœuvre engagées dans le de l’armée la plus numérisée du monde en faveur de liens technologiques combat rapproché. capteur-tireur non encore testés. Le concept d’un lien direct L’équipement est un autre enjeu « capteur-tireur » a poussé certaines personnes à conclure que le système critique du développement du système actuel de commandement et de contrôle d’appui-feu de l’Armée de terre du de l’artillerie n’était plus requis. Canada du XXI e siècle. Certes, la L’argument avancé à cet effet est que si technologie apporte une contribution tous les capteurs du champ de bataille importante en matière de portée, de sont en mesure de repérer les objectifs, précision, d’effet destructeur et de temps de communiquer avec les armes et de réaction au fur et à mesure où d’observer les effets des tirs, on n’a plus l’équipement se numérise, mais il est besoin de l’officier observateur avancé important de prendre note des (OOA) ni du commandant de batterie contraintes de la réalité actuelle qui (CB) qui contrôlent l’artillerie influent sur les décisions en matière actuellement. Cet argument ne tient pas d’équipement à court terme. des installations de commandement et de contrôle et d’autres objectifs renforcés de l’ennemi en profondeur. Autant ces systèmes que les objectifs qu’ils ciblent conviennent également idéalement au développement de liens capteur-tireur directs car il n’est à peu près pas nécessaire de coordonner les effets du tir avec les forces de 19 Puissance de feu 2020 : Est-ce la fin de l’appui rapproché? LA PUISSANCE DE FEU DANS LE Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre Le colonel M.D. Capstick Premièrement, les coûts et les cycles de développement et d’acquisition font que l’équipement requis en l’an 2020 doit être en développement maintenant. Le Crusader, le principal projet de développement américain en cours, sera un monstre de 70 tonnes qui ne conviendra vraisemblablement pas aux besoins du Canada en matière de mobilité stratégique et de coût. Même des systèmes comme le AS 90 britannique et le Pz Haubitze 2000 allemand sont trop gros et trop lourds pour être intégrés dans toute force de contingence canadienne qui se fie à sa mobilité stratégique pour se rendre dans les points chauds du monde. Par contre, le HIMARS est attrayant du point de vue de la mobilité, de la précision, de l’effet destructeur et de la portée. Cependant, il s’agit d’un système de roquettes conçu pour arroser d’explosifs un objectif de secteur, ce qui en fait donc une arme totalement inappropriée pour le combat rapproché. Même lorsqu’on utilise des munitions de précision avec le LRM ou le HIMARS, leur effet est trop étendu et destructeur pour que l’infanterie (débarquée ou à bord de véhicules blindés légers) puisse s’approcher de l’ennemi. Mon intention n’est pas de proposer un changement dans la structure de la force ou de recommander un type d’équipement particulier pour appuyer les groupements tactiques canadiens dans les opérations de l’avenir, car ces décisions ne peuvent être prises qu’en fonction de l’évolution de notre force actuelle vers l’Armée 2020. Cependant, il est possible d’énumérer certains principes de base à respecter si le type de guerre envisagé par la RAM et la Vision Stratégique 2020 doit s’appliquer au niveau tactique – k l’appui rapproché doit être proche – les troupes de manœuvre à bord des véhicules de type VBL III et les véhicules de combat blindés (VCB) doivent s’approcher de l’ennemi à distance d’échange de tirs sous la 20 protection d’un tir indirect précis et efficace; k chaque élément de manœuvre doit être accompagné d’un commandant compétent en puissance de feu ayant le pouvoir de coordonner toutes sortes de ressources d’appui-feu; k les systèmes d’appui-feu doivent avoir la même mobilité stratégique, opérationnelle et tactique que la force de manœuvre. sécurité acceptable pour les troupes engagées dans le combat rapproché. Compte tenu du fait que les grands systèmes d’armes prennent habituellement plus de dix ans à passer du niveau conceptuel au niveau de mise en service, ce principe risque de demeurer vrai bien au-delà de l’an 2020. Le concept d’engagement de précision proposé dans l’AAN convient idéalement aux niveaux stratégique et opérationnel de la guerre. Cependant, le processus CONCLUSION d’expérimentation en cours dans le cadre du développement de l’AAN a Même à ce stade précoce du processus démontré la nécessité absolue de la de développement de la force, on peut collaboration des forces de manœuvre tirer certaines conclusions préliminaires. et du système de puissance de feu pour Pour bénéficier de la souplesse requise obtenir un effet décisif contre un ennemi déterminé. Dans le combat rapproché, c’est-à-dire le genre de combat que les « La réponse à la question de savoir brigades et groupements tactiques quelle proximité est nécessaire pour canadiens seront en mesure de livrer, ce les tirs rapprochés est tout principe signifie que les systèmes simplement la proximité à laquelle conçus dans l’optique de l’engagement j’ai besoin de ces ressources de tir de précision ne doivent pas devenir la pour détruire l’ennemi ou une norme. Il ne s’agit pas ici de dénigrer proximité suffisante pour obliger leur potentiel. Il ne fait aucun doute l’ennemi à se retrancher pendant que que les systèmes comme le HIMARS je me rends à lui pour finir le sont irremplaçables pour les opérations travail. »22 [Traduction] en profondeur et pourraient bien définir un rôle pour l’Armée de terre Major-général Ernst canadienne dans les organisations se trouvant à un niveau de préparation moins élevé, c’est-à-dire celles qui pour obtenir la victoire dans le contexte auront besoin des ressources d’appui des opérations largement dispersées de général requises dans les formations de l’avenir, chaque élément de manœuvre plus haut niveau. du niveau tactique (groupement tactique) doit avoir l’appui d’une unité L’artillerie de campagne américaine de tir. Des commandants de est actuellement en plein processus l’appui-feu doivent être déployés de « contre-révolution » pour faire en avec chaque groupement pouvant sorte d’éviter une surdépendance à mener des actions indépendantes sur l’égard des systèmes de précision de le champ de bataille et ils doivent haute technologie ne tenant pas compte posséder la compétence et les des exigences du combat rapproché.23 pouvoirs nécessaires pour être en Il nous serait tous bénéfique de nous mesure de jouer leur rôle dans la rappeler que : « … l’opinion actuelle défaite de l’ennemi par désintégration. selon laquelle la technologie à elle seule Enfin, les systèmes d’artillerie à tube et la capacité d’exécuter des frappes à sont les seuls capables d’offrir le distance permettront aux forces mélange de vitesse, de précision et militaires de livrer des campagnes d’effet destructeur à une distance de simples et décisives comportant peu de Vol. 3, no. 2, été 2000 pertes, est en contradiction directe avec des millénaires d’histoire militaire. Ces vains espoirs découlent directement de la fièvre de la victoire qui s’est propagée immédiatement après la guerre du golfe. »24 Traduction] Cette foi dans la technologie est également en contradiction directe avec l’expérience pénible des conflits récents comme celui en Tchétchénie. Malgré la RAM et l’incroyable croissance de la technologie dont nous avons été témoins au cours de la dernière décennie, il demeure toutefois que : « un tir indirect écrasant coordonné à l’appui du plan du commandant de manœuvre a été la combinaison la plus dévastatrice sur les champs de bataille d’hier et sera garante du succès sur ceux de demain. »25 [Traduction] À propos de l’auteur . . . Le colonel Mike Capstick s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1975 et a terminé l’instruction de classification de l’officier d’artillerie en février 1977. Il a servi dans des régiments d’artillerie à Petawawa, à Shilo et en Allemagne. Le colonel Capstick a également commandé le 1st Regiment Royal Canadian Horse Artillery. Il a occupé divers postes d’état-major au Quartier général du Commandement de la Force terrestre et à la Direction — Étude et développement des méthodes de combat terrestre au Quartier général de la Défense nationale. Le colonel Capstick a aussi occupé le poste de G3, puis de chef d’étatmajor du secteur de l’Ouest de la Force terrestre. Ses activités opérationnelles comprennent une période de service à Chypre en tant que commandant du 1 RCHA et le commandement du contingent canadien de la force de stabilisation de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine. Le colonel Capstick a réussi les cours d’instructeur en artillerie de campagne et de commandant de compagnie d’infanterie, le Joint Warfare Course de l’armée britannique et est diplômé du Collège de commandement et d’étatmajor de la Force terrestre canadienne et du Collège d’état-major et de commandement des Forces canadiennes. Le colonel Capstick est présentement le Directeur — Personnel de la Force terrestre et le Directeur — Artillerie au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa. NOTES 3 Ibid., p. 46. 4 Voir Façonner l’avenir de la défense canadienne : une stratégie pour l’an 2020, Canada, ministère de la Défense nationale, juin 1999. 5 Voir l’ouvrage de Michael E. O’Hanlon, « Beware the « RMA’nia! » The Brookings Institute, National Defence University, 9 septembre 1999. O’Hanlon est assez convaincant lorsqu’il affirme que la réflexion en cours sur la RAM a pris des directions futiles et mêmes dangereuses. Il ne minimise pas le potentiel des grandes percées technologiques mais fait plutôt preuve de réalisme face aux limites de cette technologie dans les conflits du genre de celui qui se déroule en Tchétchénie. 13 O’Hanlon, « Beware the RMA’nia! », on cite le commentaire sardonique du lieutenant-général Paul K. Van Ripper USMC (à la retraite) : « … Nous avions la supériorité au plan de l’information en Somalie! ». Encore en 1997, les politiciens serbes de Bosnie étaient en mesure de mobiliser de grandes masses de gens, à très longue distance, malgré les efforts de la SFOR pour obtenir la supériorité au plan de l’information. 14 Voir Scales, « A Sword with Two Edges: Manoeuvre in 21st Century Warfare », Future Warfare, pp. 57-79. Ce chapitre présente une discussion très large sur le rapport entre la puissance de feu et la manœuvre. 15 Major-General Carl F. Ernst. « Is the Field Artillery Walking Away from the Close Fight? » FA Journal, Fort Sill OK, Sept-Oct 1999. 16 Ibid. 17 De Czega, p. 68. 6 On pourrait affirmer que l’Armée de terre exécute des missions de niveau stratégique chaque fois qu’elle est déployée à l’appui de la politique étrangère du gouvernement ou à des fins de protection des personnes. 18 Ibid., p. 69. 7 Armée des États-Unis, « Army Vision 2010 »; http:www.army.mil/2010. 20 Ibid. Dans son article, Ernst propose l’adoption d’un système C2 d’appui-feu très semblable à celui actuellement utilisé dans l’Armée de terre du Canada. 8 Voir l’ouvrage du major-général Robert H. Scales Jr., Future Warfare Anthology, US Army War College, Strategic Studies Institute, Carlisle PA, 1999. Scales était l’officier supérieur relevant du chef d’état-major de l’Armée pour le développement de l’AAN et des jeux de guerre connexes. Il est actuellement commandant du US Army War College. 9 Scales, « Preparing for War in the 21st Century », Future Warfare, p. 19. 10 Huba Wass de Czege and Antulio J. Echevarria II, « Landpower and Future Strategy: Insights from the Army after Next », Joint Force Quarterly, printemps 1999, p. 68. 19 Ernst. 21 Colonel John D. Rosenberger, Reaching the Army’s full Potential in the 21st Century: Insights from the National Training Center’s Opposing Forces (LPE 99-2), AUSA Institute of Land Warfare Feb 99. Sujet également discuté avec l’OLFC à Ft. Sill, 16 septembre 1999. 22 Ernst. 23 Communication avec l’OLFC à Ft. Sill, 16 sept 99. 11 Ibid. 24 Scales, p. vi. Il s’agit d’une citation de Williamson Murray dans l’introduction. 12 Scales, « The Army after Next: Intertwining Military Art, Science, and Technology Out to the Year 2025 », Future Warfare, p. 166. 25 Ernst. Il est à noter que le major-général Ernst a participé à la Tempête du désert et à la force opérationnelle interarmées en Somalie. 21 Puissance de feu 2020 : Est-ce la fin de l’appui rapproché? 1 Joint Force Quarterly, printemps 1999, p. 79. 2 Rapport du directeur des Concepts stratégiques (Opérations terrestres) 99/2. L’environnement de sécurité de l’avenir, Fort Frontenac, Kingston, juin 1999. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre LES FIRMES MILITAIRES PRIVÉES EN TANT QU’AGENTS DE TRANSFERT DE KNOW-HOW MILITAIRE MODÉLISATION DU PHÉNOMÈNE Le capitaine Cimon Yan L es firmes militaires privées peuvent-elles représenter un mode de transfert de know-how militaire ? Nous démontrerons, après avoir cerné les tenants et aboutissants de cette question, que les firmes militaires privées se conceptualisent aisément comme agents de transfert de technologie militaire chez leurs clients qui sont surtout des États. Ceci en raison de la nature particulière de leurs activités qui consistent à assister leurs clients dans leurs efforts afin d’éviter un conflit ou de leur assurer une victoire totale, le cas échéant. Notre argumentaire s’articulera donc autour de trois grands axes. En premier lieu, nous nous pencherons sur les firmes militaires privées. Deuxièmement, nous examinerons leurs clients potentiels en portant particulièrement un regard particulier sur le cas des armées africaines. Nous procéderons finalement à la modélisation du transfert prenant place entre les firmes et les armées concernées. Le capitaine Cimon Yan L ES FIRMES ÉTUDIÉES Nos sociétés occidentales reconnaissent que le monopole de la coercition légale revient légitimement à l’État. Celui-ci, même si son comportement s’avère pacifique, ne peut de façon rationnelle exclure le recours à la guerre à moins d’être ultimement disposé à accepter sa propre dissolution. Ce qui pourrait expliquer pourquoi Clausewitz voyait la guerre comme un instrument du 22 politique n’étant pas une fin en soi, mais un moyen d’arriver à ses fins1 . privées, en plus des services de consultation habituellement offerts. DOMAINE DE SPÉCIALISATION SERVICES OFFERTS Historiquement, les forces armées maintenues par les États s’entraînent pour la plupart à combattre au sein de conflits de haute intensité2 . Elles ont de plus démontré certaines difficultés à mener à bien des opérations liées à des conflits de faible intensité3 ; la guerre du Vietnam et la situation tendue des Balkans en témoignent. Une des principales explications pour cet état de chose réside dans la difficulté politique d’affecter des troupes à ce genre d’opérations puis de justifier leur emploi sur le terrain, difficulté d’autant plus présente lorsqu’il s’agit d’utiliser des armes à l’intérieur d’un pays, étranger certes, mais d’abord et avant tout souverain4 . Ces firmes offrent une gamme étendue de services reliés de près ou de loin à des activités de nature militaire. Ces services sont pour la plupart liés à la fourniture de conseils sur des questions d’ordre militaire à leurs clients; ces derniers les engagent également afin d’entraîner une partie de leur force militaire ou policière. Toutefois, seulement deux d’entre elles affirment accompagner leurs clients au combat, soit la défunte Executive Outcomes (EO) et Sandline International 5 . Il est intéressant de noter que ces deux firmes prônent la victoire totale par le biais d’un recours aux armes afin de résoudre un conflit et de restaurer la paix, ce qui est en contradiction directe avec la plupart des théories de résolution des conflits. Les autres firmes se contentent de fournir une expertise générale au niveau de la stratégie, de la logistique ou de la technologie. On retrouve par ailleurs des cas où certains États ne sont plus en mesure de maintenir ou d’exploiter des forces armées en temps de paix, de crise, de conflit armé ou de rupture de la société civile. Ils font alors souvent appel à des États alliés qui ne sont pas toujours en mesure de leur venir en aide en raison d’impératifs politiques. C’est dans de telles circonstances que les firmes militaires privées (private military companies) entrent en scène. Les conflits armés de faible intensité constituent ainsi la niche de marché privilégiée des firmes militaires Bref, la complexité de la gamme de services offerts est proportionnelle à la complexité des mandats confiés, ce qui n’exclut pas qu’une firme puisse donner une partie de son mandat en sous-traitance, à l’exemple des firmes de génie conseil. En effet, EO a confié en sous-traitance à Sandline la responsabilité d’intervenir en Papouasie Nouvelle Guinée lors des soulèvements de 1997. Il est aussi Vol. 3, no. 2, été 2000 NOMBRE D’EMPLOYÉS Armor Holdings • Conseil • Intégration de systèmes • Renseignement économique • Protection des actifs et de la propriété intellectuelle • Entraînement militaire Inconnu Executive • Conseil Outcomes • Entraînement militaire CRITÈRES D’EMBAUCHE • Varie en fonction de la filiale du groupe dont il s’agit 500 – 2000 • Ex-membres de la South African Defence Force (SADF) ou de la South African Police (SAP) (certains pilotes ukrainiens ont cependant servi avec cette firme) 300 • Ex-militaires des États-Unis (officiers supérieurs et officiers généraux) • Assistance stratégique et tactique • Vente de matériel militaire (en fonction du contrat) • Intervention sur le terrain MPRI • Conseil • Entraînement militaire • Gestion de la logistique • Maintien de la paix • Opérations humanitaires • Contre-terrorisme Sandline Intl. Inconnu • Conseil • Entraînement militaire • Support opérationnel • Appui au renseignement • Opérations humanitaires • Communication stratégique • Appui au maintien de l’ordre • Intervention sur le terrain • Ex-militaires des États-Unis ou du Royaume-Uni (expérience au combat préférable) • Opération et entretien d’équipement • Entraînement militaire • Entraînement technique • Support logistique • Ex-militaires des États-Unis (officiers et sous-officiers ou équivalent civil selon le contrat et le degré de compétence) Vinnel Corp. Inconnu Tableau 1 : Portrait des services offerts par les firmes militaires privées important de souligner que nous serions en droit de croire que la doctrine employée est fortement tributaire des anciens employeurs du personnel embauché par ces firmes. CONTEXTE D ’INTERVENTION L’intervention de soldats professionnels faisant partie d’armées privées fait l’objet de plusieurs précédents historiques comme nous le rappelle Bou-Nacklie (1991) en donnant pour exemple l’intervention de mercenaires syriens et sénégalais à la solde des Français en Afrique francophone dans les années précédant la vague de décolonisation officielle de cette dernière (i.e. entre 1947 et 1960). De la même façon, ces dernières années, plusieurs mandats ont été confiés aux firmes étudiées ici comme le montre le Tableau 2. Ces mandats ont surtout été exécutés dans des pays aux prises avec une guerre civile ou encore un conflit mineur (sous-régional) avec un pays limitrophe. Les services offerts s’avèrent relativement lucratifs s’il faut en juger par le Graphique 1, compilé à partir des travaux de Misser et Versi (1997)6 . Les données sont cependant très partielles puisque des cinq firmes présentées ici, seule Armor Holdings est une société ouverte cotée en bourse. Les autres sont privées et fournissent des renseignements très fragmentaires sur leur situation financière. LES CLIENTS ÉVENTUELS : LE CAS AFRICAIN Ces firmes militaires demeurent en affaires (donc rentables et lucratives) en raison de l’existence d’une demande soutenue pour les services qu’elles offrent. Nous avons pu constater à l’examen du Tableau 2 que plusieurs des mandats documentés qui leurs sont confiés prennent place en sol africain. Nous tenterons ici de comprendre pourquoi en même temps que nous essayerons, par le biais du cas africain, de déterminer un profil des États ou organisations ayant recours aux services de telles firmes. LA NAISSANCE DES ARMÉES AFRICAINES Les armées africaines sont nées des suites des besoins des États d’assurer un minimum de sécurité intérieure et aussi afin de protéger le territoire colonial puis national. En ce sens, les armées nationales africaines constituent souvent le prolongement des armées coloniales qui les ont précédées. Ainsi, Benchenane (1983) va jusqu’à suggérer l’existence d’une relation dialectique entre l’Armée et l’État en ce qu’ils s’influencent mutuellement dans le conditionnement des rapports de pouvoir dans l’espace souverain national7 . En conséquence, les armées africaines contemporaines possèdent un fort héritage colonial, ce qui en fait des appareils rigides, assez organisés et des plus hiérarchisés de la société. Cependant, leur nombre élevé de conscrits rend difficile la mise sur pied d’armées professionnelles telles que nous les connaissons, contribuant ainsi à renforcer un certain niveau de dépendance vis-à-vis des anciennes puissances coloniales et des accords de coopération militaire qu’elles pilotent. Les exemples en la matière ne manquent 23 Les firmes militaires privées en tant qu’agents de transfert de know-how militaire : Modélisation du phénomène SERVICES OFFERTS SOURCES : Sites web des firmes, travaux de Shearer,The Economist, The World Today et African Business. FIRME Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre MANDATS RÉCENTS (documentés) Armor Holdings •Vente d’équipement et de services conseil à plusieurs forces policières américaines ainsi qu’au Ministère de la défense des États-Unis Executive •Angola (1993-1996) Outcomes •Sierra Leone (1995-1997) •Papouasie Nouvelle Guinée (1997) CODE D’ÉTHIQUE REMARQUES DIVERSES Respecte les normes • Portefeuille d’entreprises du milieu des • Firme d’envergure mondiale affaires nord• Innovation technologique en américain (cotée en matière d’équipement individuel bourse) de protection Ne travaille que pour des gouvernements légitimes en exécutant seulement des mandats en accord avec les politiques de sécurité occidentales • Opérations arrêtées le 31 décembre 1998 • Très bon réseau de renseignement • Avantages sociaux offerts aux employés • Accompagne le client au combat • Expertise stratégique reconnue •Croatie (1994-1995) •Angola (1995) Respecte la politique étrangère des États-Unis Sandline Intl. •Papouasie Nouvelle Guinée (1997) Ne travaille que • Très bon réseau de renseignement pour des • Accompagne le client au combat gouvernements légitimes en exécutant seulement des mandats en accord avec les politiques de sécurité occidentales Vinnel Corp. •Égypte (1995) •Arabie Saoudite (1995aujourd’hui) Respecte la politique étrangère des États-Unis • Très bonne expertise en haute technologie • Expertise en logistique reconnue The Economist , The World Today et MPRI SOURCES : Sites web des firmes, travaux de Shearer, African Business . FIRME pas, pour ne mentionner que les accords AMT (assistance militaire technologique) de la France ou encore les mécanismes IMET (International Military Educational Training) des États-Unis. LES BESOINS DE FORMATION DES MILITAIRES La formation de militaires professionnels en Afrique est rendue difficile par le nombre élevé de conscrits et l’assistance militaire limitée des anciennes puissances coloniales8 . Les armées africaines demeurent dépendantes des efforts de coopération avec ces dernières nations, n’ayant que des moyens très restreints pour instaurer une doctrine en bonne et due forme et pour l’acquisition d’équipement rarement construit localement. Plusieurs officiers supérieurs d’Afrique sont formés dans les écoles militaires des anciennes métropoles. Tableau 2 : Récents mandats confiés aux firmes militaires privées Millions de $US 80 70 60 50 40 30 Le capitaine Cimon Yan 20 (Inconnu) (Inconnu) 10 0 Armor Holdings Executive Outcomes MPRI Sandline Intl Graphique 1 : Chiffre d'affaires des compagnies militaires privées pour 1997 24 Vinnel Corp. Vol. 3, no. 2, été 2000 FIRME M ODÉLISATION DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIE À la lumière de ce que nous avons examiné jusqu’ici, l’interrogation suivante surgit : les activités de ces firmes constituent-elles, en raison des rapports entretenus avec leurs clients, des transferts de technologie ? La Figure 1 nous aide à visualiser la relation entre les différents acteurs en présence. La firme entretient une relation formelle avec son client afin de permettre à celui-ci d’atteindre les objectifs qu’il recherche. Toutefois, elle peut choisir de ne pas y participer directement ou de ne le faire que d’une manière limitée en raison des contraintes de l’environnement (politique, légal, économique, moral, éthique, etc.). En dépit de la difficulté à recueillir des données, nous croyons pouvoir répondre affirmativement à la dernière question et à modéliser le transfert de technologie à l’aide de ce qui suit. Mission OBJECTIFS: •militaires •politiques •de formation •d’entraînement •etc. Interaction continue CLIENT Mission Figure 1 : Les relations entre la firme et son client LE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE En continuant notre démarche, il importe de nous situer dans le cadre général des transferts internationaux de technologie, en raison de la nature délicate de la question abordée. Nous devons tout d’abord nous demander ce qu’est un transfert de technologie. Nous reprendrons ici la définition des Nations Unies que citent Rouach et Klatzmann (1993) : Le transfert de technologie est le transfert des connaissances nécessaires à la fabrication d’un produit, à l’application d’un procédé ou à la prestation d’un service, et ne s’étend pas aux transactions comportant la simple vente ou le simple louage de biens.10 Le caractère de cette définition est suffisamment précis pour que nous puissions y inclure la cession de licences, la communication de savoirfaire ainsi que la formation et la communication en matière de pratiques technologiques. Ces dernières pouvant être non seulement techniques, mais aussi de nature organisationnelle, informationnelle et humaine (Autio et Laamanen, 1995)11 . La problématique entourant la conceptualisation de cette pratique de transfert technologique de façon généralisable est éminemment complexe. Boutat (1991) adopte une perspective théorique et systémique des transferts, Gee (1979) en cerne les tenants et aboutissants chez les pays industrialisés alors que Bradbury (1978) choisit d’étudier le point de vue des firmes12 . L’approche de Germidis (1980), centrée sur la sous-traitance, n’est pas dénudée d’intérêt en ce qu’elle aborde directement la dimension internationale de cette activité, mais elle s’y confine de façon instrumentale et ne recouvre pas la dimension plus large de notre propos13 . Il en va de même pour Samli (1985) qui interprète les transferts de technologie comme étant un phénomène 25 Les firmes militaires privées en tant qu’agents de transfert de know-how militaire : Modélisation du phénomène Bangoura (1992) reconnaît aux armées africaines une mission de défense de la souveraineté de l’État, en théorie du moins 9 . Cependant, la formation (sur place) des officiers, sousofficiers et hommes de troupe demeure déficiente et ardue à poursuivre, les structures des formation souffrant du manque de coordination efficiente des ressources. De la même façon, le soutien logistique (incluant la maintenance) demeure problématique en raison de la difficulté à établir un mode d’organisation et des pratiques de gestion efficaces. Enfin, les cadres militaires ne possèdent pas de moyens suffisants pour se pencher sur de grandes questions stratégiques ou géopolitiques internationales ou sur des problèmes, pourtant mieux définis, de sécurité régionale. La formation des militaires est pourtant l’un des piliers de la capacité défensive des armées, celle-ci ayant une influence directe sur la conduite d’opérations interarmées de grande envergure; le conflit de 1985 entre le Mali et le Burkina Faso par exemple a fait ressortir ces difficultés opérationnelles. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre diversifié dont il nous faut comprendre les variables géographiques et culturelles, non plus seulement techniques14 . LA SÉCURITÉ, UN CAS PARTICULIER Le capitaine Cimon Yan Les transferts de technologie impliquant des questions liées à la sécurité (donc de nature militaire) comportent toujours un caractère relativement délicat. En effet, comme le souligne Galbraith (1994), il existe des catégories de besoins qui sont exclusivement pourvus par l’État15 . La sécurité est un de ceux-là; l’État moderne disposant du monopole légitime de la coercition. L’explication de la sensibilité des questions de transfert de technologies militaires, quelles qu’elles soient, y trouve donc à la fois ses racines et tout son sens. Hope (1983) souligne l’importance de transférer des technologies appropriées; un discours de grande portée normative surtout lorsque nous prenons en considération les observations de Nau (1985) qui nous rappelle que plusieurs pays en développement (ou par extension, nouvellement industrialisés) vouent, dans une large mesure, leurs ressources technologiques à des efforts militaires16 . Arlinghaus (1984) va plus loin; il identifie des raisons expliquant l’augmentation relative à long terme des États africains toutes de nature idéologique, politique et économique17 . Le rythme effréné auquel les besoins de ces pays croissent donne à croire que le transfer de technologie peut s’agir d’un instrument puissant de la politique industrielle nationale. L’exemple provient parfois de pays développés; l’importance relative qu’occupe le complexe militaroindustriel dans l’économie française ou américaine en est une manifestation peu commune18 . À l’opposé, il nous apparaît que cet instrument est parfois surestimé à la lumière des difficultés importantes qu’a connu le complexe militaroindustriel du Brésil19 . 26 La donne est cependant modifiée dans les cas où la société civile souffre d’éclatement. Il peut alors s’ensuivre une guerre civile ou avec les pays limitrophes. C’est ainsi que le transfert de technologie de nature militaire prend tout son sens en ce qu’il peut modifier l’issue d’un conflit éventuel de façon déterminante. Dans ce cas particulier, il importe de modéliser adéquatement le phénomène étudié de façon à en dégager les facteurs de succès ou d’échec, selon le cas. Les transferts de technologie militaire comportent plusieurs dimensions critiques qui leur sont propres bien qu’elles ne leur soient pas limitées, c’est-à-dire : les bases techniques, éducationnelles et industrielles du requérant; son infrastructure logistique; l’apport d’experts de la part du fournisseur; la possibilité des délais de transport et d’exécution; les dimensions culturelle et socio-économique nationale du requérant et du fournisseur ainsi que la pertinence de la technologie transférée. Arlinghaus (1984) énumère ces facteurs sans toutefois préciser l’étendue de leur importance dans le cas qui nous préoccupe. MODÈLES PORTEURS Nous avons cerné trois modèles qui nous semblent porteurs, même s’ils nécessitent tous un effort d’adaptation, soit ceux de Souder (1987), de Gilbert & Cordey-Hayes (1996) et de Siggel (1985) 20 . Voyons tout d’abord les modèles de transferts en différentes phases à l’intérieur des organisations de Souder (1987). Il nous en présente trois : le modèle dominé par les stades (stage-dominant model), celui dominé par les procédés (process-dominant model) et celui dominé par les tâches (task-dominant model). Ensuite, Gilbert & Cordey-Hayes (1996) nous proposent les fruits de leurs travaux, dans un esprit intraorganisationnel à l’instar des travaux de Souder (1987). Ce modèle possède pour finalité l’innovation technologique à travers l’apprentissage organisationnel, d’où sa pertinence. Ils nous proposent un modèle non-linéaire comportant néanmoins cinq grandes étapes : l’acquisition, la communication, l’application, l’acceptation et l’assimilation. Enfin, Siggel (1985) adopte un discours plus proche de l’action en ce qu’il applique un modèle lié au génie conseil (GC)21 . D’emblée, il pose que le savoir technologique de l’industrie du GC constitue son principal facteur de production, celui-ci s’accroissant suite à la mise en œuvre de mandats de consultation. L’auteur compare le transfert de technologie à un processus d’apprentissage en bonne et due forme. Il nous explique que sa recherche est applicable à plusieurs autres domaines22 . Son approche se centre sur le mécanisme des projets clésen-main (turn-key projects) desquels il dégage six étapes : les études de marché et de faisabilité; le design et l’ingénierie; la procuration (procurement), la gestion et l’exécution du projet; le démarrage autonome des activités ainsi que la certification et la validation (start-up and commissioning); et finalement la formation continue de la maind’œuvre 23 . Il en conclura que, globalement, la croissance du nombre de mandats contribue à augmenter le stock de savoir au sein des nations offrant et demandant des projets ou des mandats faisant appel au GC. MODÈLE PROPOSÉ Nous croyons que le choix d’un modèle parmi les trois de Souder ne nous permettrait pas de saisir la complexité de notre sujet d’étude. Nous retenons donc de Souder le modèle dominé par les procédés en raison de sa puissance intégrative des aspects reliés à notre sujet d’étude et de par un certain équilibre sous-jacent entre, d’une part, l’interaction entre les acteurs et d’autre part, la hiérarchie. Gilbert & CordeyHayes (1996) nous lèguent un cadre général permettant de diviser et de systématiser les étapes de transfert de know-how militaire à l’intérieur d’un Vol. 3, no. 2, été 2000 l’incertitude stratégique importante résultant de l’asymétrie d’information entre le client et ses éventuels rivaux. ' Préparation au combat ' Combat Communication •Étapes préliminaires •Estimés stratégiques •Estimés tactiques Application Acceptation •Exécution •Gestion Assimilation •Validation •Formation continue Logique de domination des procédés NOTA : Adaptation de Souder (1987), Gilbert & Cordey-Hayes (1996) et Siggel (1985). Figure 2 : Modèle intégré de transfert de technologie militaire continuum tenant compte du degré d’apprentissage du client concerné. Siggel (1985), quant à lui, nous présente un modèle couvrant le côté de la consultation qui s’applique, selon nous, très bien aux firmes militaires privées en raison de leurs activités de conseil importantes. Ainsi, nous utiliserons conjointement les trois modèles. Leur forte complémentarité nous laisse les intégrer au sein d’un modèle, plus général et plus poussé celui-là, de transfert de technologie militaire dont les acteurs sont d’un côté les firmes militaires privées, et de l’autre les armées des États concernés. L’examen de la Figure 2 nous permet de poser le déroulement du transfert de technologie militaire s’effectuant selon une logique de développement de procédé (Souder, 1987) se déroulant en trois temps. Premièrement, ex ante nous constatons que la technologie est acquise et communiquée (Gilbert & CordeyHayes, 1996). Ceci correspond à la conduite d’études préliminaires ainsi qu’à l’élaboration d’estimés stratégiques, tactiques et de plans de contingence (adapté de Siggel, 1985). Deuxièmement, la mission proprement dite de préparation au combat ou de poursuite des hostilités voit l’application (Gilbert & CordeyHayes, 1996) des efforts précédemment entrepris sous le couvert de l’exécution du plan et la gestion de cette dernière (adapté de Siggel, 1985). Troisièmement, ex post l’acceptation et l’assimilation (Gilbert & Cordey-Hayes, 1996) passent par la validation des acquis et la formation continue (adapté de Siggel, 1985). À ce moment-ci de notre démarche, il importe de tenter d’évaluer l’incidence des facteurs critiques que sont les bases techniques, éducationnelles et industrielles du requérant; l’infrastructure logistique du requérant; l’apport d’experts de la part du fournisseur; la possibilité des délais de transport et d’exécution; les dimensions culturelle et socio-économique nationale du requérant et du fournisseur ainsi que la pertinence de la technologie transférée. Cela a pour but d’optimiser les chances de réussite du transfert. Le Tableau 3 montre l’évaluation que nous avons faite de l’incidence des facteurs critiques (Arlinghaus, 1984) cernés plus haut [sur le succès du transfert] que doivent considérer la firme et son client. Nous n’avons considéré aucun facteur possédant une incidence faible sur le transfert en raison de L’intervention d’EO en Sierra Leone au cours de 1997 (Shearer, 1998) peut d’ailleurs être envisagée au regard du modèle présenté ci-haut 24 . Conformément au schéma présenté à la Figure 1, le gouvernement engage EO, ces deux acteurs interagissant afin de poursuivre les objectifs recherchés par le premier soit d’organiser, d’entraîner et de fournir de l’équipement à une force militaire ainsi rendue efficace pour stabiliser la société civile, mais aussi pour contrer la menace rebelle du Revolutionary United Front ou RUF). Ainsi, ex ante le gouvernement fait l’acquisition de ressources matérielles (notamment d’équipement russe plus facile à obtenir, donc à entretenir, et moins coûteux à l’achat) et de know-how stratégique et tactique ayant trait surtout à la guerre terrestre menée avec un appui aérien. EO entraîne les forces armées gouvernementales, hommes de troupes et officiers à l’utilisation du matériel et d’une doctrine en bonne et due forme. Au cours du déroulement de la mission qui dura 22 mois (de 1995-1997), EO appuya régulièrement les forces armées gouvernementales lorsqu’il fut temps d’appliquer la doctrine et d’utiliser des nouvelles ressources dans un théâtre opérationnel. EO s’est aussi impliquée à la gestion de l’exécution des plans de contingence élaborés ex ante. Elle a enseigné à son client l’utilisation de chasseurs pour l’attaque au sol et d’hélicoptères afin d’assurer la mobilité des unités d’infanterie devant détruire l’ennemi au maquis. De plus, elle lui a permis l’avantage du côté des opérations de renseignement et de subversion. À la fin de la mission, EO put parler de victoire totale en accord avec sa philosophie de résolution des conflits, le RUF ayant battu en retraite permettant au gouvernement de tenir des élections. EO avait perdu quatre de ses collaborateurs au combat, les pertes des forces gouvernementales 27 Les firmes militaires privées en tant qu’agents de transfert de know-how militaire : Modélisation du phénomène Acquisition UNE APPLICATION DU MODÈLE Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre étant indéterminées. Ex post, la fin des opérations a vu le départ d’EO, sans toutefois poursuivre de période de validation des acquis ou encore de formation continue des forces gouvernementales, le gouvernement n’ayant probablement pas les ressources à cette fin suite à la coûteuse guerre civile. Le résultat fut, en 1998, la reprise des hostilité teintées d’énormes difficultés des forces gouvernementales à maintenir leur avantage stratégique, perdant peu à peu du terrain aux mains des rebelles. CONCLUSION En conclusion, nous avons remarqué toute l’étendue de la complexité du phénomène étudié et modélisé. En premier lieu, nous avons vu que malgré le monopole de l’État sur la coercition légale, ce dernier tend à se spécialiser dans les conflits de haute intensité et présente des difficultés d’action dans les conflits de faible intensité, que ses forces armées soient opérationnelles ou non. Ainsi les firmes militaires privées offrent un service d’expertise stratégique et tactique à ces dernières, parfois même directement sur le théâtre des opérations. Elles ont la capacité d’intervenir au sein de plusieurs conflits potentiels ou réels pour le compte de leurs clients. Ces activités offrent de bonnes possibilités de revenus. FACTEURS Bases techniques, éducationnelles et industrielles Finalement, la modélisation du transfert de technologie prenant place entre les firmes militaires privées et les armées des États clients ne peut se faire qu’en ayant préalablement situé la nature première du transfert en question. Ainsi, Rouach et Klatzmann (1993) posent que le transfert de technologie constitue un transfert de connaissances, incluant donc de facto la notion de know-how. L’application de ce concept au domaine de la sécurité exige que nous soyons conscients de la sensibilité des transferts de technologie qui s’y déroulent. En effet, les transferts de technologie de nature militaire comportent plusieurs dimensions EX ANTE Forte MISSION Moyenne EX POST Moyenne Moyenne Forte Moyenne Apport d’experts étrangers Forte Moyenne Forte Possibilités de délais Forte Forte Forte Dimensions culturelle et socioéconomique Forte Moyenne Forte Moyenne Forte Forte Infrastructure logistique Le capitaine Cimon Yan Deuxièmement, nous avons tenté de cerner les clients potentiels pour ce type de services et les motifs du recours aux forces militaires privées. Pour ce faire, nous nous sommes penchés sur le cas particulier des armées africaines. Cellesci sont nées de la nécessité pour les métropoles de l’époque coloniale d’assurer la sécurité des colonies. Elles sont souvent, même de nos jours, le seul corps organisé du pays au sein duquel elles œuvrent. Elles possèdent d’importants besoins de formation, en raison du peu d’écoles militaires de haut niveau et du nombre élevé de conscrits qui les composent. Ceci entraîne plusieurs difficultés opérationnelles. Pertinence de la technologie Tableau 3 : Incidence des facteurs critiques de Arlinghaus (1984) sur les stades de transfert de technologie du modèle intégré 28 critiques propres à compromettre leur réussite si elles ne sont pas prises en compte. En gardant cet état de fait à l’esprit, nous avons présenté trois modèles potentiellement porteurs dont nous avons intégré les caractéristiques pertinentes à notre propos au sein d’un modèle que nous qualifions « d’intégré ». Nous avons retenu de Souder (1987) l’orientation vers un modèle au sein duquel les procédés sont dominants. Chez Gilbert & Cordey-Hayes (1996), la formalisation des phases représente un instrument puissant à inclure au sein du modèle intégré en ce qu’elle s’inscrit dans l’esprit des attributs que nous avons empruntés de Souder (1987). Ces derniers auteurs s’inscrivant dans une logique plutôt intraorganisationnelle, nous avons besoin de l’apport de Siggel (1985) pour garantir l’application de notre modèle intégré. Son modèle interorganisationnel nous permet de rendre cohérent le caractère très interorganisationnel du modèle intégré, malgré la perspective intraorganisationnelle des auteurs précédents. Ainsi, comme en témoigne la Figure 2, nous avons saisi les principaux tenants et aboutissants relatifs aux transferts de technologie militaire effectués par les firmes militaires privées. Ce modèle s’applique d’ailleurs à l’intervention d’EO en Sierra Leone au cours de l’année 1997. Par conséquent, eu égard à la demande soutenue pour les services de ces firmes, nous sommes en droit de nous poser, en dernière analyse, les questions suivantes : Le recours à des firmes militaires privées constitue-t-il un mode de résolution des conflits de faible intensité ? Pourrait-il se substituer efficacement aux forces conventionnelles de maintien de la paix ? Vol. 3, no. 2, été 2000 NOTES 2 Nous faisons ici abstraction des unités spécialisées à la lutte au terrorisme ou à celles chargées de mener des opérations clandestines puisqu’elles sont, par définition, impossibles à employer à grande échelle ne possédant qu’un nombre limité de membres ayant préalablement subi un entraînement particulier et très rigoureux. 3 Nous entendons par l’utilisation de l’expression générale « conflit de faible intensité » regrouper les guerres de guérilla, guerres civiles limitées aux frontières nationales et autres conflits de cet ordre. 4 Ce qui entre en violation avec le principe de non-ingérence au sein d’un État souverain. S’agissant des contraintes reliées à l’emploi de ressources militaires traditionnelles en conflit de faible intensité à l’extérieur du territoire, voir Shearer, David, « Private Armies and Military Intervention », Adelphi Paper 316, February 1998, www.sandline.com. 5 Executive Outcomes a cessé ses opération le 31 décembre 1998 suite au désaveu du gouvernement Sud Africain. 6 Misser, François et Versi, Anver, « Soldiers of Fortune », African Business, no. 227, December 1997, pp. 8-14. 7 Benchenane, Mustapha, Les armées africaines, Chatillon-sousbagneux (France), Publisud, 1983, pp. 24-25. 8 Benchenane, Ibid., pp. 129-159. 9 Plusieurs sont en effet en proie à un clientélisme politique en même temps que leur subordination au politique ne se matérialise pas toujours dans les faits. Voir Bangoura, Dominique, Les armées africaines (1960-1990), Condé-sur-Noireau (France), Centre des Hautes Études sur l’Afrique et l’Asie Modernes, 1992, pp. 43131. 10 Rouach, Daniel et Klatzmann, Joseph, Les transferts de technologie, Paris, Presses Universitaires de France, (Collection Que sais-je ?), 1993, p. 10. 11 Autio, Erkko et Laamanen, Tomi, « Measurement of technology transfer : review of technology transfer mechanisms and indicators », I n t e r n a t i o n a l J o u r n a l o f Technology Management, vol. 10, no. 7/8, 1995, pp. 643-664. 12 Consulter Boutat, Alain, Les transferts internationaux de technologie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, (Collection Science des systèmes), Lyon, 1991; Bradbury, Frank R., Technology Transfer Practice of International Firms, Alphen Aan Den Rijn (The Netherlands), Sijthoff & Noordhoff, 1978 ainsi que Gee, Sherman, Technology Transfer in Industrialized Countries, Alphen Aan Den Rijn (The Netherlands), Sijthoff &Noordhoff, 1979. 15 Galbraith, John Kenneth, « The Autonomous Military Power : An Economic View » in Chatterji, Manas, Jager, Henk, Rima, Annemarie, The Economics of International Security, NY, StMartins Press, 1994, pp. 9-13. 16 Hope et Nau se rejoignent d’ailleurs tacitement à ce chapitre. Ils tiennent des discours respectifs pertinents en la matière, même si le premier l’oriente dans le sens du nouvel ordre économique international proposé à l’époque par les Nations Unies, le second adoptant la logique bipolaire de la guerre froide qui a connu un certain regain sous l’administration Reagan. Le lecteur remarquera que Hanrieder touche, quant à lui, la dimension technologique liée à l’acquisition de ressources militaires, mais se concentre trop sur la question de l’armement nucléaire pour que nous le citions explicitement dans le texte. Voir Hope, Kempe R., « Basic Needs and Technology Transfer Issues in the New International Economic Order », American Journal of Economics and Sociology, vol. 42, no. 4, October 1983, pp. 393-403 ainsi que Nau, Henry R., « International Technology Transfer », The Washington Quarterly, vol. 8, no. 1, Winter 1985, pp. 57-64 et finalement Hanrieder, Wolfram (Ed.), Technology, Strategy, and Arms Control, Boulder CO, Westview Press, 1986. 17 Arlinghaus, Bruce E., Military Development in Africa : The Political and Economic Risk of Arms Transfers, London, Westview Press, 1984, pp. 55-82. 18 Nous n’entendons cependant pas juger du bien fondé de ce point de vue, nous reprenons ici Chesnais. Voir Chesnais, François, C o m p é t i t i v i t é i n t e r n a t i o n a l e e t d é p e n s e s m i l i t a i r e s , Paris, Économica, 1990. 19 Ceci considérant le fait que selon Conca, les causes sont tout à la fois économiques et institutionnelles. Se référer à Conca, Ken, « Between global markets and domestic politics : Brazil’s military industrial collapse », Review of International Studies, vol. 24, 1998, pp. 499-513. 20 Voir Gilbert, Myrna, Cordey-Hayes, Martyn, « Understanding the process of knowledge transfer to achieve successful technological innovation », Technovation, vol. 16, no. 6, 1996, pp. 301-312. Souder, W.E., « Technology Transfer : From the Lab to the Customer », in Souder, W.E., Managing New Products I n n o v a t i o n s , Lexington Books, 1987, pp. 217-238. Siggel, Eckhard, « Learning by consulting : A Model of Technology Transfer through Engineering Consulting Firms », Canadian Journal of Development Studies, vol. 6, no. 1, 1985, pp. 27-44. 21 Le fait que ce modèle soit heuristique et difficilement testable de l’aveu même de Siggel ne lui enlève en rien sa pertinence dans le cas qui nous préoccupe ici. 22 Entre autres, la science, la politique ou encore le droit. 13 Germidis, Dimitri, La sous-traitance internationale : une nouvelle forme d’investissement, Paris, OCDE, 1980. 23 Il propose ensuite une fonction mathématique permettant le calcul de l’accumulation de know-how au sein d’un pays donné. Elle n’est citée ni utilisée ici car elle ne s’inscrit pas dans l’objet de notre propos. 14 Samli, Coskun A. (Ed.), Technology Transfer : Geographic, Economic, Cultural, And Technical Dimensions, Westport CT, Quorum Books, 1985. 24 Shearer, David, « Outsourcing War », Foreign Policy, no. 112, Fall 1998, pp. 68-81 ainsi que « Can anyone curb Africa’s dogs of War », The Economist, Jan 16th-22nd, 1999, p. 41. 29 Les firmes militaires privées en tant qu’agents de transfert de know-how militaire : Modélisation du phénomène 1 A-PD-050-0D1/PG-006, La guerre et la profession militaire, Ottawa, QGDN, (Programme de perfectionnement professionnel des officiers), 1996, p. 2C-3. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre CHANGEMENT DE STRUCTURES POUR LES CHEFS DE DEMAIN Le sergent Arthur Majoor Q uel sera le rôle des sous-officiers (s/off) dans l’Armée de demain et dans l’Armée de l’avenir? Voilà une des questions sur lesquelles portaient les présentations et ateliers organisés dans le cadre du Symposium sur le sousofficier dans l’Armée de l’avenir qui s’est tenu à l’Université Queen’s de Kingston en juin 1999. Le cinquième panel, dont je faisais partie, a plus particulièrement étudié les questions suivantes : k Quel rapport devraient entretenir les officiers et s/off au sein d’une unité? Le sergent Arthur Majoor k Faudrait-il rétrécir ou élargir l’écart dans l’attribution des fonctions, des responsabilités et des rôles de leadership direct entre les soldats en garnison et en opération? 1 La solution à laquelle est arrivée la majorité du groupe de travail recommandait, pour l’Armée d’aujourd’hui 2 , l’intensification du travail en équipe et du perfectionnement professionnel, tout en maintenant le statu quo entre les grades. La mise en œuvre de ces solutions et de solutions connexes proposées par les autres groupes contribuerait grandement à améliorer le rendement à court terme de l’Armée de terre en rehaussant le calibre professionnel du corps des s/off. Je crois cependant que ces solutions ne sont pas adaptées aux profonds changements prévus dans l’Armée de demain, et encore moins aux changements radicaux auxquels nous serons confrontés dans l’Armée de l’avenir. L’Armée de demain est définie comme l’armée telle qu’elle existera d’ici cinq à dix ans, tandis que l’Armée de l’avenir est celle qui existera d’ici 11 à 25 ans. 30 EST-CE LA FIN DU S/OFF? Mon article soutient que le concept de catégories distinctes de leadership pour les officiers et s/off disparaîtra. Les changements en matière de technologie, dans la structure sociale, dans les études et dans les méthodes d’affaires modifieront la manière dont les soldats sont recrutés, formés et sélectionnés en vue de promotions. Ces changements influeront également sur la manière dont l’Armée de terre fonctionne en garnison et en campagne. Même si l’hypothèse de la fin des sous-officiers peut sembler exagérée, elle se veut quand même le prolongement logique des tendances actuelles et du fait que le présent système est à l’origine d’un tel changement. ailleurs, le sergent devra élargir ses connaissances militaires pour être en mesure d’affronter des menaces non conventionnelles comme les personnes piégées à la bombe, les activités de guérilla ou les tactiques d’infiltration, qui sont susceptibles d’être employées par les forces militaires et paramilitaires serbes dans le but de neutraliser la puissance aérienne de l’OTAN. DE SOUS-OFFICIER À « PRESQU’OFFICIER » : TECHNOLOGIE Le rapport entre l’effectif de la force et le territoire occupé, ainsi que la nature de la mission feront en sorte que le peloton, même s’il fait partie d’une structure plus vaste, devra souvent opérer en mode dispersé. Dans ce contexte, le commandant de section, n’ayant ni le temps ni les moyens de consulter l’autorité supérieure, devra souvent prendre des décisions cruciales fondées sur ses propres connaissances et compétences. Les fonctions et responsabilités du s/ off ont augmenté énormément au cours des dix dernières années seulement. Avec la fin de la guerre froide et la réorientation sur des rôles non traditionnels, les s/off des armes de combat ne sont plus de simples pratiquants de la tactique des petites unités ou des logisticiens qui s’occupent de bottines et de farine. Le sergent d’infanterie déployé au Kosovo doit bien sûr connaître ces fonctions, mais il doit également s’y connaître en coopération civilo-militaire, en relations avec les médias, en propagande et contre-propagande, en histoire locale, en culture et en techniques de négociation. La recherche de preuves de crimes de guerre et des criminels qui les ont commis exigera également les compétences d’un officier de police. Par Dans l’Armée de demain, le commandant de section, de détachement ou de véhicule disposera d’un potentiel supérieur grâce à la technologie. Le développement le plus prévisible se situe au niveau de l’amélioration des moyens de communication, voix et données, grâce au Système tactique de commandement, de contrôle et de communications (STCCC). Les dispositifs de communication ressembleront à l’assistant numérique (PDA), par exemple la « commande à paume » 3COM. Les véhicules blindés et les pièces d’artillerie (canon ou roquette) seront en mesure d’utiliser des capteurs, individuellement et collectivement, pour « voir » le champ de bataille. Des assistants cybernétiques, qui ressembleront peut-être aux robots de désamorçage de Vol. 3, no. 2, été 2000 Les armes, avec leur portée accrue, leur puissance destructrice améliorée et leur capteur intégré, obligeront les unités à opérer en mode beaucoup plus dispersé. Dans les opérations de faible intensité, les sections ou les véhicules individuels pourront faire sentir leur influence sur un vaste secteur. Aux niveaux plus élevés, les opérations se caractériseront par la fusion des données,4 c’est-à-dire un environnement où les unités débusquent les objectifs en utilisant tous les capteurs disponibles puis choisissent le meilleur moyen d’attaquer l’objectif une fois que celui-ci est repéré. Ainsi, une section d’infanterie qui découvre un emplacement d’armes ennemi pourrait décider de confier l’attaque à un véhicule d’appui-feu blindé qui se chargera de détruire l’objectif à l’aide d’un obus d’attaque par le dessus avec capteur intégré. Un observateur avancé d’artillerie prévenu de la présence d’une patrouille de guérilla par un capteur éloigné pourra attaquer cette patrouille à l’aide d’un missile guidé par fibre optique ou transmettre l’information à une patrouille d’infanterie dont la mission est de capturer l’ennemi. Le spécialiste du soutien au combat aura également accès à beaucoup des outils décrits ci-dessus. Le conducteur de véhicule de transport sera en mesure de planifier un itinéraire et de livrer ses marchandises en tout terrain, de jour ou de nuit, en se servant d’aides à la vision de nuit et en s’orientant grâce au système de positionnement global de bord de son véhicule. Son chargement sera dépêché à l’avant après réception d’un compte rendu automatique de l’échelon F.5 Pour réduire leur vulnérabilité, les véhicules se déplaceront individuellement ou en petites rames et éviteront de se regrouper aux points de livraison. L’adjoint médical pourrait très bien disposer d’un assistant robotisé faisant non seulement fonction de brancardier mais aussi de moniteur des signes vitaux des blessés ou encore de préposé aux premiers soins et aux procédures de stabilisation. Dans l’Armée de l’avenir, ces ressources se développeront encore davantage. Des dispositifs cybernétiques prendront toutes sortes de formes et de tailles, depuis le robot miniaturisé de la taille d’un insecte6 jusqu’aux armes d’appui-feu, aux véhicules de transport, aux navires et aux aéronefs autonomes. Le soldat ressemblera probablement au Starship Trooper du roman de Robert A. Heinlein7 , enfermé dans une armure active truffée d’armes et de capteurs. Les biotechniques de pointe issues de la médecine des sports serviront à suivre de près le soldat et à établir des programmes de médication, d’alimentation et d’exercice visant à maximiser la force, la résistance et l’éveil. La fusion des capteurs s’étendra pour intégrer un plus large éventail de sources, y compris les capteurs spatiaux, tout en exploitant une partie encore plus large du spectre électromagnétique. Les armes disposeront d’un potentiel élargi, incluant peut-être celui de rompre une attaque en cours de trajectoire pour se réorienter vers un objectif de plus grande valeur, ou celui de reconfigurer le cône de charge pour infliger un maximum de dommages à l’objectif ou encore d’annuler l’attaque au besoin. Les services de soutien seront également dispersés, au point où certains systèmes pourraient être autonomes en campagne grâce à l’énergie solaire et à d’autres ressources naturelles. Les comptes rendus automatiques et les demandes d’approvisionnement par les unités ou les personnes deviendront la méthode conventionnelle de soutien. Certains grands systèmes d’armes pourront être éliminables pour simplifier le soutien, par exemple un lanceroquettes multiples mis en place et automatiquement intégré dans le réseau de conduite du tir. Après utilisation, il ne restera que quelques tubes de fibre de verre vides et un ordinateur peu coûteux dont la récupération ou le rechargement ne présenteront aucun intérêt. Les opérations pourraient se caractériser par une approche semblable à un essaim d’abeilles. Lorsque les unités prennent contact avec l’ennemi, elles transmettent leurs données de capteur aux unités adjacentes qui peuvent engager le même ennemi, selon la situation, conformément aux objectifs visés par le commandant. Si on poursuit l’analogie, la fonction d’état-major supérieure consisterait à positionner et à alimenter la « ruche » en fournissant une orientation générale quant au résultat attendu, en réservant certaines zones de l’espace de combat pour les opérations des unités et en établissant la structure logistique pour le soutien de l’opération. Même si la plupart de ces prévisions ont un aire de « science fiction », elles sont en réalité une extrapolation logique de la technologie actuelle. Chaque étape de la transition de l’Armée d’aujourd’hui à l’Armée de demain et à l’Armée de l’avenir confère de plus en plus de pouvoirs à des soldats se trouvant à des niveaux de plus en plus bas. Il est donc logique de penser que les responsabilités en matière de leadership augmenteront parallèlement. Un véhicule de reconnaissance Coyote est en mesure de « voir » un secteur semblable à celui qui était couvert par tout un bataillon durant la Seconde Guerre mondiale. Le commandant du véhicule d’appui-feu ou du char de demain disposera de cette capacité de vision étendue couplée à un système d’armes capable de frapper aux mêmes distances que celles des systèmes de détection. La section d’infanterie de l’avenir, grâce à ses assistants cybernétiques, disposera du même genre de potentiel et devra être très compétente dans l’utilisation de ces systèmes afin d’en maximiser les capacités. Dans l’Armée de demain, les fantassins de première ligne devront recevoir la même formation que les Rangers ou les soldats aéroportés d’aujourd’hui. Dans l’Armée de l’avenir, la section pourrait bien ressembler à l’équipe des forces spéciales 31 Changement de structures pour les chefs de demain bombe d’aujourd’hui, pourraient être disponibles et jouer le rôle de transporteurs de munitions, de détecteurs de mines, de capteurs télécommandés ou de plates-formes d’armes.3 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre d’aujourd’hui au plan de la taille et des capacités.8 Avec le temps, les ennemis potentiels jouiront de capacités accrues, y compris des armes de destruction de masse et des armes électromagnétiques capables d’endommager les systèmes à la vitesse de la lumière. Le délai de prise de décisions et d’exécution des mesures avant que l’ennemi n’atteigne son but diminuera donc proportionnellement. Le sergent Arthur Majoor L’augmentation du potentiel des petites unités et la compression du temps de réaction surchargeront énormément tout système de commandement centralisé. Une structure de commandement et de contrôle fondée sur le contrôle dégagé et utilisant des hiérarchies horizontales ou plates disposera de la vitesse et de la souplesse nécessaires pour déployer les unités efficacement.9 Dans l’Armée de demain, les nœuds de commandement et de contrôle pourraient prendre la forme de réseaux neuronaux et de serveurs de groupement tactique pour le traitement de l’immense quantité de données générées. Dans l’Armée de l’avenir, ces nœuds seront eux-mêmes très vulnérables et seront remplacés par un traitement informatique réparti. On s’assurera ainsi qu’aucun programme ne réside dans une seule et unique machine.10 La répartition traditionnelle des responsabilités disparaîtra. Les chefs seront en mesure de prendre et d’exécuter des décisions à partir d’informations communes provenant des systèmes de capteurs et en employant le contrôle dégagé et une doctrine commune pour les guider. Un grand nombre de fonctions administratives traditionnellement exécutées par les s/off seront de plus en plus automatisées et n’exigeront plus l’attention exclusive de nombreuses personnes. LA RÉSERVE DE TALENTS Le bassin démographique de provenance des soldats de l’avenir est en train de changer. La taille des groupes d’âge 32 cibles diminuera. Un plus grand pourcentage de la population globale poursuivra des études post secondaires. L’expérience, les valeurs, l’éducation et les connaissances élémentaires de ces personnes seront le reflet du pays que sera le Canada de demain. Par simple extrapolation de ces tendances, on voit bien que l’Armée de terre (et les Forces canadiennes en général) devra se battre pour attirer une partie d’un bassin beaucoup plus petit de recrues intéressantes.11 Un autre facteur souvent négligé est le fait que beaucoup de personnes ne considèrent pas les Forces armées comme un employeur souhaitable. Ces personnes estiment peut-être que la carrière militaire n’est pas assez prestigieuse ou prometteuse ou que les Forces armées sont un symbole d’oppression. Voilà qui limite encore le bassin de recrues potentielles. Même aujourd’hui, on voit les effets de ces changements. De nombreux réservistes utilisent leur solde pour suivre des études collégiales ou universitaires. Les recrues de la Force régulière ont un niveau académique de plus en plus élevé. Le soldat moderne se définit par l’apprentissage et la formation plutôt que par sa généalogie ou son état d’âme. L’institution militaire est aujourd’hui un monde fondé sur le mérite plutôt que sur la naissance. J’ai personnellement connu un sergent et un lieutenant de la Réserve qui servaient ensemble et qui étaient inscrits à la même université, suivant les mêmes cours et vivant dans la même résidence. Au cours de leur carrière, de nombreux soldats essaieront de poursuivre leurs études, par le biais de cours militaires ou à titre individuel, ou même par la formation à distance ou l’inscription dans des établissements d’éducation. Non seulement cette tendance réduira-t-elle l’écart entre les officiers et les militaires du rang, mais elle servira de méthode d’autosélection en désignant les personnes profondément motivées et disciplinées. Dans certains domaines d’intérêt, cette tendance permet aux soldats d’acquérir des compétences de grande valeur, ce qui les incite ensuite à se tourner vers la vie civile où le salaire et les conditions d’emploi sont meilleurs. Les pilotes et les administrateurs de réseau informatique sont deux groupes professionnels bien connus où cette tendance se manifeste.12 Ces soldats diplômés auront les connaissances nécessaires pour fonctionner dans les scénarios décrits précédemment. Les concepts traditionnels de d’instruction devront évoluer pour tenir compte du soldat et du type d’environnement de travail dans lequel les soldats évolueront. L’instruction doit mettre l’accent sur la réflexion et l’action indépendante dans l’adversité. Le travail d’équipe se fera dans le contexte de petites unités (toutes les unités deviendront plus petites) et des soldats aux compétences techniques variées seront requis dans divers métiers. Les spécialistes devront suivre des circuits de formation différents qui mettront l’accent sur des compétences reliées à leur métier.13 La formation en leadership sera axée sur la création d’équipes et le leadership en équipe, mais pas au niveau de leadership dont les stagiaires auront besoin. Les groupes de travail changeants et souples exigent des techniques de leadership différentes de celles des équipes de combat qui sont fondées sur des petits groupes cohérents. SÉLECTION ET FORMATION Le système d’enrôlement actuel permettra de trouver les ressources de leadership requises pour l’Armée de demain et l’Armée de l’avenir. Le livre de Norman Dixon The Psychology of Military Incompetence14 pose l’hypothèse que certains traits communs caractérisent un leader incompétent. L’hypothèse inverse est qu’il existe aussi des traits communs pour les candidats compétents au leadership. Des tests spéciaux d’aptitude et de caractère peuvent être utilisés dans les centres de recrutement pour identifier les leaders en puissance possédant les traits de caractère en question et les orienter vers le bassin de leaders Vol. 3, no. 2, été 2000 L’instruction actuelle peut servir de base pour éliminer la division entre les sous-officiers et les officiers. Les phases I et II du cours d’officier sont presque identiques au cours de chef subalterne. On pourrait facilement créer un cours de leadership unifié à partir de la fusion de ces deux cours. Parallèlement, la formation professionnelle peut reposer sur des jeux de compétences et l’avancement dans la carrière peut être fondé sur le potentiel individuel et la réussite de modules d’instruction. Les promotions seront fondées sur le succès dans l’exécution des fonctions. Les commandants de section/de véhicule ou de détachement compétents seront préparés et formés en vue du niveau supérieur suivant. Au gré de leur carrière, les meilleurs candidats auront l’occasion de progresser jusqu’à leur niveau maximum de potentiel. Ce concept ressemble à certains égards à celui en vigueur dans la force de défense d’Israël où chaque soldat doit servir un certain temps au sein de la troupe et où seuls les meilleurs sont invités à joindre les rangs des officiers. L’armée populaire du Rwanda utilisait un système semblable durant la guerre civile dans ce pays et les leaders compétents pouvaient progresser graduellement du niveau de commandant de section jusqu’au niveau de commandant de bataillon.16 Les leaders qui se révélaient incompétents, à quelque niveau que ce soit, étaient transférés des armes de combat au service de soutien et ainsi, un commandant de peloton qui présentait des lacunes au niveau du commandant de compagnie pouvait se retrouver capitaine du corps des transmissions. SEGMENTATION DE LA FORCE L’Armée de demain et l’Armée de l’avenir, en se fiant comme elles le feront sur un petit nombre de soldats hautement formés assistés par des dispositifs cybernétiques, seront coûteuses à mettre sur pied, à maintenir et à soutenir. L’Armée de terre (et, par extension, les Forces armées) devra être divisée en une petite force mobile capable de se déployer en campagne immédiatement et en une force de manœuvre plus vaste capable d’entreprendre des opérations prolongées après une période de préparation du personnel et de l’équipement. Les réservistes constitueront une partie importante de la force de manœuvre et devront être choisis et formés de la même manière que les membres de la Force régulière. Pour faire en sorte que les réservistes puissent fonctionner efficacement avec la Force régulière, les unités de la Réserve seront structurées en régiments d’instruction munis du même nombre d’ordinateurs et de dispositifs de communication peu coûteux que les unités de la Régulière. La formation sur simulateurs sera nécessaire pour permettre aux réservistes d’atteindre et de maintenir un certain niveau de compétence à l’égard des robots dispendieux qu’ils devront utiliser. Pour réduire les coûts, les systèmes robotiques seront vraisemblablement regroupés dans des bases d’instruction et conservés dans des installations d’entreposage à long terme en attendant d’être requis. Les réservistes seront très utiles comme renforts en cas d’urgences civiles comme par exemple l’inondation au Manitoba et la tempête de verglas, c’està-dire des situations qui exigent des corps de troupes organisés pour prêter main-forte aux autorités civiles. Ils seront également efficaces sur le champ de bataille de haute technologie lorsqu’on leur remettra leurs armes robotisées et qu’ils seront intégrés au réseau du groupement tactique. Les réservistes pourraient être moins utiles dans les opérations de faible à moyenne intensité caractérisant les missions hors guerre, par exemple les missions d’imposition de la paix, à cause des occasions limitées de suivre la formation spécialisée requise pour ce genre d’opérations. Les soldats de la Force régulière auront le temps supplémentaire nécessaire pour suivre la formation linguistique et culturelle requise en vue de ces missions.17 MODÈLE À TROIS NIVEAUX Pour accueillir ces changements, je crois que la structure de l’Armée de terre devrait évoluer dans le sens des transformations actuelles. Je propose un modèle à trois niveaux qui comporterait un niveau de leadership, un niveau technique et (par manque d’un terme plus approprié) un niveau d’exécutant. Le niveau de leadership engloberait les chefs du niveau de commandant de section/de véhicule/détachement en montant; il refléterait les exigences et capacités croissantes des soldats à ce niveau en matière de leadership et de prise de décisions. Les personnes occupant ces postes seraient probablement des militaires professionnels cherchant des occasions de promotion et le service à long terme. Le niveau du leadership serait divisé en deux, l’état-major régimentaire et l’état-major général. La division entre ces deux types de leadership surviendrait plus tard dans la carrière. Elle impliquerait une sélection et des épreuves compétitives (autosélection, pointage au programme de perfectionnement professionnel des officiers, examens compétitifs, rapports d’évaluation, etc.). Le leader régimentaire aurait tendance à progresser dans les postes de leadership au sein du régiment ou du service sans aspirer à des postes en dehors de ces sphères. Un leader de l’état-major général aurait le désir de travailler au niveau opérationnel ou stratégique et le potentiel pour ce faire et devrait suivre une formation supplémentaire à cette fin. Le niveau technique regrouperait les spécialistes compétents qui font fonctionner les systèmes. Ce niveau s’approcherait du niveau traditionnel de 33 Changement de structures pour les chefs de demain potentiels. Comme les personnes se développent à leur propre rythme, il devrait y avoir un réexamen périodique des soldats, tout au long de leur carrière, pour identifier ceux qui se développent tardivement.15 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre sous-officier comme source d’expérience. La solde et le système de promotion tiendraient compte du fait que les spécialistes peuvent accroître leur niveau de compétence sans augmentation correspondante des responsabilités au plan du leadership. Les spécialistes pourraient même être groupés en équipes de travail multidisciplinaires chacun s’intéressant à un aspect distinct de la même tâche. Le leadership au sein de l’équipe serait fonction du type de tâche à exécuter et l’expert de l’équipe à l’égard de la tâche deviendrait le chef d’équipe. Par exemple, si un véhicule avait besoin de travaux de carrosserie, le technicien de véhicule deviendrait le chef d’équipe et le technicien du groupe propulseur et le programmateur travailleraient sous ses ordres. Le sergent Arthur Majoor Ce niveau comporterait également un régime d’enrôlement de spécialistes compétents qui permettrait à ces personnes de s’enrôler dans les Forces armées à un niveau de solde pertinent pendant qu’ils reçoivent la formation militaire. Ce régime devrait également être assez souple pour accommoder les gens qui s’enrôlent dans l’Armée de terre pour la durée d’un contrat, travaillent et poursuivent ensuite leur formation dans le milieu civil pendant plusieurs années, puis reviennent dans l’Armée de terre avec des compétences professionnelles accrues. Le groupe des exécutants serait composé des nouveaux soldats au niveau débutant ou recrue qui suivent la formation de base ou sont nouveaux dans leur emploi. Ces soldats seraient suivis de près et évalués afin de déceler le potentiel d’apprentissage et de leadership. CONCLUSION « Quel rapport devraient entretenir les officiers et s/off au sein d’une unité? Faudrait-il rétrécir ou élargir l’écart dans l’attribution des fonctions, des 34 responsabilités et des rôles de leadership direct entre les soldats en garnison et en opération? » Par le passé, les officiers se chargeaient de la réflexion, de la planification et du commandement tandis que les s/off mettaient le plan en œuvre, contrôlant, formant et dirigeant des cohortes de soldats inexpérimentés. Comme j’ai essayé de vous le montrer, la répartition traditionnelle des fonctions est en train d’être abolie par les changements technologiques qui continuent d’accélérer le rythme d’opération sur le champ de bataille et d’abaisser le niveau auquel des décisions cruciales doivent être prises. La technologie a également pour effet d’automatiser de plus en plus les tâches courantes, par exemple le réapprovisionnement, et d’accélérer la vitesse et la précision tout en supprimant le besoin d’intervention humaine spécialisée. Tous ces facteurs modifient la hiérarchie de prise de décisions en aplatissant la structure de commandement pour accélérer la transmission d’information. Pourquoi acheminer les ordres en passant par de nombreux niveaux quand il est possible de les transmettre directement aux chefs appropriés instantanément grâce à un PDA? Les chefs peuvent utiliser le contrôle dégagé pour expliquer le résultat souhaité aux sous-unités puis les leaders aux niveaux inférieurs peuvent élaborer les plans requis. L’établissement de liens horizontaux sera primordial pour les unités en première ligne car elles devront partager l’information et combiner les ressources pour engager l’ennemi. Le bassin de talents disponibles s’amenuise au fur et à mesure où la population vieillit et où des segments plus importants de la population considèrent les Forces armées comme un employeur non désirable. Dans l’Armée de demain et l’Armée de l’avenir, un plus petit nombre de personnes devra accomplir autant ou même plus de travail que l’Armée d’aujourd’hui. Le confinement d’une grande partie de la force au niveau de la gestion intermédiaire n’est tout simplement pas une bonne utilisation des ressources. Des petits nombres de soldats hautement formés accomplissant des tâches complexes remplacent lentement mais sûrement le s/ off dans son rôle traditionnel de guide d’un grand nombre de soldats qui accomplissent des tâches simples. Il faut s’attendre à ce que les personnes se motivent elles-mêmes, particulièrement lorsque le niveau d’études et de connaissances du soldat moyen augmente constamment.18 Je crois que le changement ultime sera la sélection et la formation de personnes directement en vue de postes de leadership. Le leadership dans l’Armée plus petite et puissante de demain et l’Armée de l’avenir englobera ce qu’on considère traditionnellement comme le commandement et le contrôle. La fusion de ces deux fonctions éliminera la distinction entre l’officier et le sous-officier du point de vue des fonctions, des responsabilités et, particulièrement, du leadership direct. Le leader de l’avenir devrait avoir l’expérience de la direction de troupes au niveau de la section, du véhicule ou du détachement, cas ces niveaux de leadership sont les plus difficiles et les plus exigeants et les personnes qui y récoltent des succès méritent incontestablement de passer à des niveaux de responsabilité supérieurs. Vol. 3, no. 2, été 2000 À propos de l’auteur . . . Le sergent Arthur Majoor a obtenu un diplôme en finances d’entreprise au Fanshawe College et est inscrit au cours MCSE (Microsoft Certified System Engineer). Il s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1981, a servi dans la Force régulière (Force terrestre) jusqu’en 1986, puis a été muté à la Réserve. Ses activités opérationnelles comprennent une période de service à Chypre et la participation à l’Opération RÉCUPERATION pendant la tempête de verglas en 1998. Le sergent Majoor occupe présentement le poste de G6 Administrateur TI au sein du 31e Groupe-brigade du Canada à London en Ontario. NOTES 2 Recommandation du cinquième panel, Symposium sur le sous-officier de l’Armée de l’avenir, Université Queen’s, Kingston (ON) le 29 juin 1999. 3 George and Meredith Friedman, The Future of War (Crown Publishers, 1998), p. 388. 4 Friedman, pp. 382-385. Cette section décrit la fusion des données dans le contexte d’une section d’infanterie, mais le principe peut être élargi pour inclure toutes les armes et tous les capteurs dans le bloc en question de l’espace de combat. 5 Capt B Weins, « Numérisation du champ de bataille : Le point de vue de l’Arme blindée »; Bulletin de l’Arme blindée, 29, no 2 (1996) : p. 10. La description du STCCB et du Vetronics montre comment le système de demande automatique pourrait être configuré. 6 Phil Scott, “A Bugs Lift,” Scientific American (April 1999): p. 51. Description des recherches dans le domaine des robots volants de la taille d’un insecte. 7 Robert A. Heinlein, Starship Troopers (Putnam’s Sons 1959, pages de référence Ace 1987), pp. 79-85. Description de la tenue de combat active. 8 Friedman, pp. 391-392. 9 Friedman, pp. 389-390. Cette section montre également la nature bidirectionnelle du changement, puisque les commandants de niveau supérieur pourront également voir le champ de bataille du point de vue de la section s’ils le désirent. Il y a là un énorme risque de microgestion. 10 http://plan9.bell-labs.com/plan9/index.html. Le plan 9 est un exemple de projet d’informatique répartie actuel. 11 Capt (M) A. Okros, “The future Soldier”. Symposium sur le sous-officier dans l’Armée de l’avenir, 28 juin 1999, Université Queen’s, Kingston (ON). 12 Okros. Ce changement d’attitude a été décrit comme le passage du stade de « militaire professionnel » à celui de « professionnel militaire ». 13 Okros. Cet aspect est décrit dans le texte comme l’application des compétences spécifiques d’une équipe disciplinée pour atteindre l’objectif. 14 Norman Dixon, On the Psychology of Military Incompetence (Random House, 1984). 15 Sergent T. Garrand. « Qu’est-ce que les s/off pensent qu’ils devraient et peuvent faire? » Symposium sur le sous-officier dans l’Armée de l’avenir, 28 juin 1999, Université Queen’s, Kingston (ON). 16 Major B.P. Beardsley. Attaque de section – Le double enveloppement. Journal de l’infanterie (hiver 1995) : pp. 8-16. L’évaluation des chefs et leur promotion sont traitées aux pages 9 et 10. Les leaders devaient avoir du succès, ménager les ressources et réduire les pertes. De plus, un processus de formation en cours d’emploi était utilisé dans l’ensemble de la chaîne de commandement pour faire en sorte que les chefs compétents forment leurs remplaçants éventuels. 17 Mme Donna Winslow, « A View from Outside the Door ». Symposium sur le sous-officier dans l’Armée de l’avenir, 28 juin 1999, Université Queen’s, Kingston (ON). Cette présentation portait à croire qu’un double jeu de compétences pourrait être nécessaire, un pour les opérations de haute intensité et la guerre technique et un autre constitué de compétences en sciences humaines pour les opérations autres que la guerre. 18 Winslow. Il faut se pencher sur les raisons qui motivent les gens à s’enrôler et à servir dans les forces militaires. Est-ce que les gens s’enrôlent par désir de servir la nation, de vivre une aventure ou de décrocher un poste stable et bien payé? Chaque nouvelle génération de soldats est probablement motivée par tous ces désirs dans différentes proportions. 35 Changement de structures pour les chefs de demain 1 Symposium sur le sous-officier dans l’Armée de l’avenir tenu à l’Université Queen’s de Kingston (ON) les 28 et 29 juin 1999. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre RESTRUCTURATION DE L’ARMÉE DE TERRE OU RÉFLEXIONS SUR LA RESTRUCTURATION PAR LA BASE L’adjudant-chef G.M. Clough, CD C L’adjudant-chef G.M. Clough et article ne s’intéresse pas à la manière dont nous fonctionnions dans le passé ni à la manière dont nous étions structurés. Beaucoup d’ouvrages ont déjà été consacrés à ces deux sujets. Qu’il suffise de se rappeler qu’avant et pendant la Première Guerre mondiale, nous avions une structure particulière. Il en était de même avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale ainsi que pendant la guerre de Corée et la guerre froide. Je ne veux pas non plus vous parler des recrues d’hier (officiers ou militaires du rang), pas plus que je ne m’intéresse à l’équipement et à la manière dont il est passé du type mécanique au type électronique et à puces logiques. Surtout, cet article ne se veut pas une étude de l’ancienne doctrine, même si elle est digne d’étude. Au bilan, il faut avant tout se rappeler que l’institution militaire canadienne est en période de réduction et manque de fonds et que par conséquent, les choses doivent changer. k structure; k réserves; k recrutement; k instruction; k équipement. CHOIX ET MAINTIEN DU BUT Pour parvenir à construire une armée fonctionnelle, il faut d’abord connaître le but à atteindre. Il n’est pas évident que les politiciens ou nous des forces armées avons le but clairement en vue et il semble peu probable que nous le verrons clairement dans un proche avenir si nous, les membres actuels des forces armées, ne faisons pas un grand effort en ce sens. Le premier point à l’ordre du jour est donc de définir clairement le but, puis de faire pression pour obtenir les moyens de le maintenir. Il nous faut un plan stratégique si nous voulons adéquatement servir notre pays maintenant et dans l’avenir. B UT DOCTRINE Le but de cet article est d’offrir des idées sur la manière de mieux préparer nos ressources humaines et notre institution pour l’avenir. Nous avons tendance à vivre dans un univers irréel. Nous continuons à dépenser temps et ressources à discuter et à étudier des organisations et des articulations à un niveau stratégique où nous n’avons pas évolué depuis de nombreuses années et où, fort probablement, nous n’évoluerons pas dans un avenir prévisible. À l’heure actuelle, nous aurions beaucoup de difficulté à déployer un groupe-brigade en campagne et il nous serait certainement impossible de maintenir un tel élément en puissance même pour une courte période. Notre doctrine est INTRODUCTION Pour comprendre la logique de cet article, vous devez d’abord enlever votre insigne de casquette et la mettre dans votre poche. Voici les sujets qui seront abordés en profondeur : k choix et maintien du but; k doctrine; 36 désuète et doit être revue en profondeur. Quant à notre équipement, il n’est pas aligné sur notre doctrine. Ce qui arrive habituellement, c’est qu’on dispense l’instruction en fonction d’une doctrine désuète pendant qu’on rédige la nouvelle doctrine et ce, tout en changeant l’équipement et les niveaux d’effectif. Cette situation n’a absolument aucun sens. Nous ne combattons plus désormais comme on le faisait sur les champs de bataille du passé, mais nous continuons quand même à promouvoir des vieux concepts. Nous continuons à considérer comme la Force rouge des nations qui sont maintenant nos alliées. Nous gaspillons temps et argent à préparer nos chefs supérieurs en vue de postes qu’ils n’occuperont jamais. La doctrine devrait refléter la réalité, et non une vision fantaisiste. L’Infanterie est le fer de lance de l’Armée de terre et non simplement un groupe de fusiliers qui donnent l’assaut d’une tranchée à la suivante. Les tactiques d’aujourd’hui ont modifié les rapports entre l’Infanterie, l’Arme blindée et l’Artillerie d’appui rapproché. Ces changements signifient qu’il faut dorénavant former les membres de ces armes à titre d’équipes de combat ou de groupements tactiques plutôt qu’à titre d’entités distinctes : Infanterie, Arme blindée et Artillerie. Pourquoi tous les servants de mortier ne sont-ils pas des artilleurs? Parallèlement, pourquoi tous les artilleurs ne sont-ils pas des servants de mortier? En effet, ces deux systèmes d’armes servent à propulser en trajectoire courbe des obus explosifs (même s’ils ne couvrent pas les mêmes distances tous les deux) et en Vol. 3, no. 2, été 2000 d’appartenance des membres de l’équipe est totalement sans intérêt. Le service de soutien est un groupe fluide qui change continuellement sans direction réelle. Nous sommes récemment passés de l’autosuffisance à une séparation entre le soutien général et le soutien rapproché, tout en continuant de travailler sur le projet de chaîne d’approvisionnement. Nous devons prendre un temps d’arrêt et réévaluer notre objectif. Y a-t-il un pilote à bord? Le changement n’est pas mauvais en soi, mais il est impossible de faire des changements de direction intelligents lorsque trop de mains sont sur le volant. Nous ne nous consultons pas mutuellement au moment où nous nous élançons vers l’avenir avec un nouveau projet particulier; il est dispendieux de procéder ainsi. Il faut travailler ensemble, et non individuellement. Exprimé simplement, notre travail consiste à soutenir un groupe-brigade (deux au plus) en campagne, peu importe le lieu de déploiement. Nous nous abusons lorsque nous parlons de corps et d’armées quand, dans le fond, nous parvenons à peine à soutenir une brigade. La doctrine doit évoluer. Nous ne générons pas de corps ni d’armées et il est fort probable qu’il en sera ainsi pour l’avenir prévisible. Si jamais nous en arrivons là, ces corps et armées auront probablement un aspect et un but bien différents de ce qu’ils sont actuellement. Souvenez-vous que la doctrine est le moteur de la structure, du recrutement, de l’instruction et de l’équipement. C’est la base. La diversification des modes de prestation des services (DMPS), c’est plus que la simple soustraitance; si on veut que ce concept soit pris au sérieux, il faut l’inclure dans notre doctrine. STRUCTURE Encore une fois, rangez vos insignes. Nous devons examiner tous les niveaux de nos quartiers généraux. Il n’y a pas de solution ou de méthode simples pour restructurer les éléments mais il est clair que le statu quo est lourd et léthargique. Il y a beaucoup trop de généraux et d’adjudants chefs. Arrêt complet! Nous avons des généraux qui ont fait toute leur carrière sans jamais commander plus qu’une brigade (et dans certains cas moins), encore moins une division ou une organisation de niveau plus élevé. Notre pyramide et notre structure de pouvoir sont incohérentes. Il faudrait se demander sérieusement de combien de capitaines d’équipe nous avons besoin pour diriger une équipe de moins de 20 000 membres. Nous devons également examiner attentivement nos classifications et nos groupes professionnels militaires (GPM). Tous! Nous devrons en décomposer certains et nous poser des questions difficiles : Faut-il vraiment avoir un diplôme en génie pour diriger un garage (peloton de maintenance)? Combien de nos ingénieurs remplissent effectivement des fonctions d’ingénieur? Faut-il avoir un diplôme en sciences humaines pour diriger un entrepôt (peloton d’approvisionnement)? Faut-il être diplômé pour commander un bataillon? Est-ce que les classifications officier du développement de l’instruction (ODI) et officier des affaires publiques (OAP) sont viables? Pourquoi les titulaires de poste dans ces deux classifications sont-ils commissionnés alors qu’ils ne dirigent pas de troupes? Où s’inscrit le leadership dans toute cette structure? Avons-nous besoin d’une classification pour le service postal? Est-ce que le travail de conduire un camion ou un autobus constitue un métier? Ne s’agit-il pas plutôt là de codes de classification de 37 Restructuration de l’Armée de terre ou réflexions sur la restructuration par la base conséquence, les connaissances et compétences requises pour l’application du tir sont probablement très semblables dans les deux cas. L’Infanterie et l’Arme blindée utilisent maintenant le même véhicule blindé léger (VBL) : les soldats de ces deux armes sont-ils donc identiques? Les pionniers de l’Infanterie et les sapeurs de combat ont beaucoup de connaissances et de compétences en commun : sont-ils des soldats identiques? Ces exemples et d’autres encore montrent bien que le temps est peut-être venu de commencer à changer notre doctrine d’instruction. Nous avons tendance à nous accrocher au concept du soldat unidimensionnel alors qu’en même temps nous formons des soldats polyvalents. Les membres des équipes de combat et groupements tactiques vivent et livrent combat en équipe et il serait donc logique de les former en équipe et de les déployer en équipe. Nos écoles d’instruction doivent constituer ces groupes dès le début de l’instruction et développer leurs membres dans un contexte d’équipe tout au long de leur carrière. Cela signifie qu’il faudra changer nos écoles de tactique. Il n’est plus vrai de dire que les tactiques de l’Arme blindée sont exclusives à cette arme et que les tactiques de l’Infanterie sont exclusives aux fantassins. Les tactiques doivent refléter l’équipe dans son ensemble et doivent être enseignées aux membres de l’équipe au même endroit sur le terrain, dans la même salle de classe et par les mêmes instructeurs. Le succès de l’équipe dépend de la compréhension et de l’acceptation complètes des tactiques. La mobilité, la portabilité, la souplesse, la force de frappe et la vitesse sont des éléments cruciaux pour le succès de toute action offensive ou défensive. La présence d’équipes de combat bien formées et bien équipées améliorera notre potentiel de succès. L’insigne Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre spécialistes? Les classifications et GPM sont dispendieux et s’accompagnent de toute l’infrastructure requise pour la gestion d’un régiment ou d’une branche. Nous devons combiner ou fusionner certains de ces groupes. L’adjudant-chef G.M. Clough Nous n’obtenons pas un rendement raisonnable sur nos investissements dans la formation des officiers. Une idée mise de l’avant serait de regrouper tous les officiers du génie en un cadre d’instructeurs du génie qui réponde à nos besoins en matière de génie selon la situation. Cette mesure réduirait facilement le nombre d’ingénieurs à l’effectif militaire, réduction qui se traduirait par des économies d’argent. En outre, nous devons réévaluer les motifs pour lesquels nous offrons des diplômes supérieurs et quels bénéfices nous retirons de cette généreuse offre. Nous devons revoir l’obligation de service compensatoire pour ces études et augmenter le nombre d’années que les bénéficiaires doivent servir. Il est à peu près certain que l’attrition dans nos rangs est la plus élevée chez les officiers qui ont obtenu des diplômes d’études supérieures car dans la plupart des cas, ces diplômes augmentent leur valeur marchande en dehors du monde militaire. Nous savons tous qui conduit les camions dans l’Arme blindée, l’Artillerie et l’Infanterie et il serait donc logique que ces mêmes personnes conduisent aussi les camions au sein de l’unité de soutien logistique. Cet objectif serait facile à atteindre en faisant passer les soldats des armes de combat par le bataillon des services. Cette méthode permettrait aux soldats de s’éloigner un peu de la limite avant de la zone de bataille et de passer quelques temps dans la zone arrière. Elle permettrait également de créer une équipe plus cohérente car les soldats du soutien 38 logistique et les soldats des armes de combat collaboreraient ensemble dans la zone de soutien de la brigade et non plus simplement au niveau de l’unité. Au bilan, on obtient une augmentation des effectifs dans les armes de combat et une baisse des effectifs du soutien logistique. Qu’est-il advenu du magasinier de combat? Le temps de formation du technicien en approvisionnement niveau de qualification trois (NQ3) et niveau de qualification (NQ5) est d’environ 10 semaines au total, ce qui porte à croire qu’on est plus en présence d’un code de qualification de spécialiste que d’un GPM. Une option consisterait à combiner les fonctions du technicien d’approvisionnement avec celles du technicien des mouvements, d’y ajouter la fonction du service postal pour créer un GPM plus viable. Avons-nous besoin d’un technicien d’armes ou serait-il préférable d’avoir un technicien de système d’armes? Avons-nous besoin d’un technicien de matériel médical et d’un technicien de matériel dentaire ou n’y a-t-il pas plutôt une solution du côté de la diversification des modes de prestation? Une des options consisterait à transférer la fonction de réparation au technicien SCT. Est-ce que le technicien de munitions ne devrait pas être le cinquième métier du génie électrique et mécanique (GEM)? Il faut répondre à ces questions. Nous devons également nous pencher sur la force opérationnelle interarmées. Mis à part le quartier général, avons-nous besoin d’une FOI? Son financement fait-il partie de l’enveloppe budgétaire du MDN? Avons-nous un élément aéroporté et si oui, s’agit-il d’un élément réaliste ou nous accrochons-nous simplement à une idée? Pourquoi les trois groupes-brigades sont-ils structurés différemment du point de vue du soutien logistique? Est-ce là un système bien efficace? Notre doctrine ne nous permet pas tant de souplesse. Il y a tout un éventail d’options disponibles sur le plan de la structure, tout ce qui manque, c’est le courage et la détermination nécessaires pour prendre les mesures requises. RÉSERVES Voilà sans aucun doute l’un des sujets les plus délicats et complexes qui soit. Il faut constater que le statu quo ne fonctionne pas et que le fait d’augmenter les budgets ne réglera pas le problème. Nous avons besoin d’un plan de jeu et des moyens pour le mettre en œuvre. La meilleure solution est l’option de l’équipe-école. En vertu de cette option, une unité de la réserve est superposée à une unité de la Force régulière et lui fournit un effectif compétent et éprouvé à la lumière de ses besoins. Il est fort probable que cette option exigerait de donner le mandat et les budgets nécessaires à l’unité de la Force régulière pour que le système fonctionne. Essentiellement, cela signifie aussi que si une unité de la Force régulière a besoin d’un peloton de mortiers et que l’unité de la Réserve est en mesure de lui fournir le personnel nécessaire, l’unité de la Réserve devient alors un peloton de mortiers qui peut s’intégrer à l’unité de la Force régulière au besoin. Il faudrait certainement démanteler de nombreuses unités de la Réserve et même si l’histoire de ces unités est riche, nous devons malheureusement être objectifs et regarder ce que ces unités nous ont apporté récemment. La réalité est que toutes ces unités ne sont pas un grand succès depuis de nombreuses années. Même si des obstacles politiques se dresseront indubitablement dans le chemin de la fermeture de ces unités de la Réserve, il s’agit là d’un point litigieux que nous devons régler à court terme. Des sommes importantes sont actuellement dépensées dans la Réserve sous sa Vol. 3, no. 2, été 2000 Par ailleurs, force est d’admettre que les réserves du soutien logistique sont un échec retentissant. Sauf quelques rares exceptions, nous avons tenté de copier, sans grand succès, à peu près tous les métiers du soutien logistique de la Force régulière dans la Réserve. Nous devrions abandonner toute cette idée de réserve du soutien logistique et réorienter ces unités vers quelque chose de plus profitable comme par exemple les communications. Si nous sommes forcés de conserver ces unités, nous devrions envisager des GPM qui produisent des résultats plus rapidement. Revenons à l’exemple du technicien d’approvisionnement/mouvement/ service postal dont nous avons déjà parlé. Encore une fois, l’option de l’équipe-école est probablement la meilleure. Si une unité de la Réserve est en mesure de produire le nombre de soldats requis, alors peut-être devrions-nous déployer un peloton ou une compagnie de réservistes relevant de l’unité de la Force régulière d’appartenance. Encore une fois, il faudrait déléguer le budget nécessaire à l’unité de la Force régulière en question. En résumé, les réserves ne déploient actuellement pas d’unités en campagne, tout au plus des pelotons et quelquefois des compagnies. Il s’agit d’organisations dont l’administration est très lourde et qui souffrent d’un taux très élevé d’attrition. Elles servent fréquemment d’occasions d’emploi à court terme dans une profession qui au contraire exige le dévouement, le professionnalisme et l’engagement. RECRUTEMENT Voilà un autre secteur à l’égard duquel nous devons éclairer et informer nos maîtres civils. Peut-être n’est-ce pas politiquement correct ou même agréable, mais nous ne pouvons être le reflet de la société. La société est dispendieuse et nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’en créer une copie. Nous ne pouvons recruter des personnes âgées de 40 et 50 ans. Nous ne pouvons pas non plus recruter des personnes mono-parentales – nous en avons déjà assez dans nos rangs sans en adopter de l’extérieur. Nous devons recruter des personnes qui peuvent immédiatement aller à l’instruction, occuper un emploi et se déployer. Il est dispendieux de former un officier ou un soldat. L’administration de l’Armée de terre et de toutes ses unités est une autre opération dispendieuse. On nous demande de faire preuve d’une plus grande rigueur fiscale alors que des politiques mal avisées nous imposent des contraintes. Nous devrions réduire ou abandonner complètement le financement complet des études universitaires et plutôt envisager de recruter des diplômés d’université ou d’offrir une subvention partielle pour les études de ce niveau. Nous devrions recruter uniquement du personnel pour les armes de combat. Après la formation élémentaire et lorsque ces recrues ont démontré une aptitude particulière pour un domaine précis, on peut leur offrir un métier technique ou une classification. Les membres de l’Armée de terre doivent avoir une base solide dans le métier des armes et la meilleure voie pour atteindre cette compétence est celle des armes de combat. Nous devons également examiner de façon plus rigoureuse le profil psychologique et physique de nos recrues avant de les enrôler chez nous. Compte tenu des réductions actuelles et prévues, nous avons besoin de personnes pleinement fonctionnelles dès le début de leur carrière. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui. Les conditions de service doivent également être revues. Peut-être faudrait-il adopter un mélange des approches britannique, américaine et allemande à cet égard. INSTRUCTION Nous finançons la majorité des études de nos officiers, y compris les études supérieures. Si cette politique reste en vigueur, nous devrions offrir les études secondaires ou des cours de ce niveau à nos militaires du rang également. Ainsi par exemple, à un certain point de la carrière d’un soldat, nous pourrions lui offrir l’occasion d’obtenir un diplôme collégial. Cela coûtera de l’argent, mais en retour nous aurons probablement un soldat plus heureux et plus dévoué qui aura de meilleures chances de se trouver une carrière après son service militaire. C’est déjà ce que nous offrons à nos officiers. Il faudrait naturellement prévoir des dispositions pour le remboursement en années de service de ces programmes d’études. Les soldats doivent être formés comme des soldats, au même titre que les marins doivent être formés comme des marins. Le concept d’un soldat polyvalent est ridicule. Nous n’avons ni l’argent, ni le temps ni la volonté de créer ce genre de soldat et nous ne les avons jamais eus. La formation élémentaire commune offerte au collège de Saint-Jean n’est tout simplement pas un bon investissement. Il serait probablement beaucoup plus rentable 39 Restructuration de l’Armée de terre ou réflexions sur la restructuration par la base présente forme et pourraient être plus efficacement investies ailleurs. Le fait de réduire le nombre des unités de réserve pourrait bien augmenter les chances de survie de nos propres unités et des unités restantes de la Réserve. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre d’envoyer les recrues de l’Armée de terre à l’école de combat dès le début de leur carrière. La formation en leadership devrait également être dispensée dans les écoles de combat : le cours actuel de chef supérieur est une aberration. L’Armée de terre devrait être en mesure de récupérer sa quote-part des sommes actuellement investies par le Service du recrutement, de l’éducation et de l’instruction des Forces canadiennes (SREIFC) dans la formation de type général. L’apprentissage à distance est un excellent outil qu’il faudrait exploiter au maximum. Il est très sain de placer sur les épaules de l’individu la responsabilité de son succès. Tous les cours à fort contenu théorique se prêtent idéalement à l’apprentissage à distance, par exemple les cours du Collège d’état-major, de l’École d’état-major et tous nos cours techniques pourraient être théoriquement coupés de moitié. L’adjudant-chef G.M. Clough Qu’est-ce que les cours de tactique de niveau intermédiaire 1 et 2 et comment s’insèrent-ils dans le profil de formation de l’officier? Nous essayons d’enseigner à nos jeunes officiers comment faire une appréciation de combat avant qu’ils aient appris à diriger adéquatement un peloton. Ce n’est pas tous les officiers de l’Armée de terre qui auront à commander une compagnie et encore moins un bataillon et ainsi de suite jusqu’au niveau de la brigade. Par ailleurs, ces officiers ne peuvent pas tous devenir des ODI ou des OAP. Notre instruction doit refléter la manière dont nous vivons et combattons. Nous devons trouver les carrefours où l’instruction devrait être fusionnée, tant dans les armes de combat que dans le soutien logistique. É QUIPEMENT Il faut réduire l’équipement. Nous exploitons actuellement beaucoup trop de parcs de véhicules et d’équipement. Il est tout simplement illogique d’essayer de garder tout ce matériel en état de service. Comment peut-on développer une stratégie d’instruction en présence de ce genre d’articulation pour l’équipement? Notre équipement doit correspondre à notre doctrine ou alors nous risquons de causer des morts inutiles. Il est également très dispendieux d’essayer de poursuivre cette ancienne voie. Nous ne deviendrons jamais une unité militaire combattante cohérente et intelligente s’il n’y a pas complémentarité de la doctrine, des politiques, de la tactique, du personnel, de l’instruction et de l’équipement. Cela nous renvoie au point de départ et à la nécessité de définir notre rôle. Qu’est-ce que l’institution militaire et qu’attend-on d’elle? Quel rôle nos maîtres politiques nous voient-ils jouer? L’importance de ces questions est immense. Une définition claire de notre rôle nous obligera à choisir entre des chars, des VBL, des aéronefs ou des navires (et à définir la quantité de chacun dont nous avons besoin). Avons-nous besoin d’une infanterie légère ou d’une infanterie mécanisée ou encore d’un mélange des deux? Tout cela pour dire que le statu quo est dispendieux, illogique et inacceptable. RÉSUMÉ Reconnaissons d’abord qu’il est beaucoup plus facile de critiquer que de mettre en œuvre des changements, particulièrement lorsqu’on fait face aux contraintes et à l’environnement politique actuels. Malgré cela, nous devons faire des changements là où nous le pouvons et là où ces changements sont profitables pour l’ensemble de l’équipe, peu importe nos propres politiques internes. Beaucoup des questions que j’ai soulevées aujourd’hui l’ont été par d’autres et sont peut-être déjà sur la table; la vraie question est de savoir s’il ne faudrait pas cesser de parler et commencer à agir. Cette action doit être concertée et non pas disloquée. C’est de notre avenir dont il s’agit et nous devons être prêts à y faire face. À propos de l’auteur . . . L’adjuc G.M. Clough est membre de la branche du Génie électrique et mécanique et compte 32 ans de service. Il a servi au sein d’unités de l’Arme blindée, de l’Artillerie, de l’Infanterie et des Transmissions, au 4e Bataillon des services et au 1er Bataillon des services. Ses états de service comptent des périodes au sein du 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada, du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada, au QGDN et au SREIFC. Il a occupé le poste de SMR de l’EGEMFC et d’adjuc à la branche GEM. Il occupe actuellement le poste de sergent-major régimentaire au 1er Bataillon des services à Edmonton. 40 Vol. 3, no. 2, été 2000 LA CRISE DU LEADERSHIP LA 7E BRIGADE ET SA « RÉVOLTE » DE NIVELLES EN 1918 L 7 e Brigade d’infanterie canadienne [BIC] a eu également le triste sort de se trouver sous les ordres d’un nouveau commandant à Cambrai, lors du dernier grand combat de la guerre, et de perdre deux commandants de bataillon d’expérience dans les premières heures de la campagne. Autrement dit, le commandement et le contrôle ont été sérieusement touchés et la Brigade a subi des pertes inutiles. a Voici ce qu’en a dit, 45 ans après, l’officier général commandant (OGC) de la 7e BIC, le bgén John Arthur Clark, ancien cmdt du 72 e Bataillon (Bn) (Seaforth Highlanders) de la 4e Division d’infanterie canadienne : « Jamais je ne me suis senti aussi déprimé qu’après cette bataille. Il semblait impossible de briser le moral et l’esprit combatif des soldats allemands. Nous avions l’impression que ces Boches ne pouvaient pas être battus, certainement pas en 1918. Ils ont magnifiquement combattu, et de façon acharnée. Ils ont découragé bien des soldats du Corps. »2 Lors d’une visite auprès des officiers du 42 e Bataillon du Corps expéditionnaire canadien (Royal Highlanders of Canada) dans un cantonnement de repos après la bataille, vers la fin d’octobre, le général Currie a également senti le découragement des soldats. Il leur a demandé de lui dire ce qui n’avait pas fonctionné : « Oubliez que je suis le commandant du Corps et dites-moi exactement, en toute franchise, ce qui, d’après vous, a mal tourné lors du dernier combat. Je veux savoir exactement ce que vous pensez, si vous croyez que les commandants supérieurs ont fait des erreurs ou non. Je vous « Dans son dernier grand combat de la guerre, la 7e Brigade a eu le triste sort de faire face à des formations ennemies bien reposées, fortes et très combatives. »1 G.R. Stevens A City Goes to War demande de me parler librement, d’homme à homme. Rien de ce que vous me direz ne se retournera contre vous. »3 Fort heureusement pour Currie, le cmdt des Highlanders, Royal Ewing, était en permission durant cette visite, sinon Ewing, qui rageait d’amertume, en aurait raconté de belles au commandant du Corps. Charles Stewart, du Princess Patricia Canadian Light Infantry (PPCLI), avait été tué. Dick Willets du Royal Canadian Regiment (RCR) avait été gravement blessé et Robert Palmer du 49e Bn était en permission. Ainsi, dans la 7e Brigade, Ewing était le seul commandant de bataillon survivant. Personne n’a consigné ce que les Highlanders ont dit en l’absence de leur cmdt. À force de persévérance de la part du Corps, les Canadiens prenaient Cambrai le 9 octobre. La Brigade poursuivit alors l’armée allemande qui battait en retraite, et a même pris à un moment la tête du Corps à travers la forêt de Raismes. Elle devait avoir l’insigne honneur d’être la première brigade canadienne à pénétrer dans Mons le 10 novembre, la veille de la déclaration de l’Armistice. Ce fut également la première et seule brigade du Corps canadien qui se révolta. Elle continua cependant d’exister, au moins théoriquement, jusqu’au jour où ses bataillons s’embarquèrent sur des navires pour revenir au pays. Cependant, avant l’embarquement, ses deux premiers commandants ne l’oublièrent pas. Le bgén Hugh Dyer, en l’honneur duquel la Brigade défila à Bramshott, vint la saluer une dernière fois. Le charismatique « Batty Mac » n’oublia pas non plus la « Combative Brigade » et lui adressa un dernier message chaleureux : « Je suis vraiment très fier de pouvoir dire que j’ai déjà commandé une telle brigade. Je n’ai aucun doute que ses membres réussiront dans la vie civile et continueront de faire preuve des mêmes qualités de courage, d’initiative, de rigueur et de ténacité dans le civil qu’ils ont su si bien démontrer sur le champ de bataille. »4 PROMOTIONS ET PROBLÈMES Les problèmes de la 7e BIC ont débuté lorsque l’OGC tant apprécié, le bgén « Daddy » Dyer, fut remplacé par le bgén Clark, nouvellement promu, le 12 septembre, au cours de la brève accalmie entre les batailles d’Arras et de Cambrai. Les divers historiques et journaux de guerre du régiment mentionnent le départ de Dyer, en font l’éloge et parlent de l’amour et de l’admiration qu’on lui vouait, mais ne donne aucune explication sur son départ soudain. L’ouvrage officiel sur l’historique du régiment mentionne simplement le fait que le départ du mgén Lipsett et la promotion du général Loomis 41 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 Le lieutenant-colonel Ian McCulloch, CD Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre Le lieutenant-colonel Ian McCulloch « provoquèrent un certain nombre de modifications dans le commandement des brigades d’infanterie au sein du Corps. » Dyer avait servi 12 mois sous Loomis en tant que commandant de bataillon et avait été promu au cours de cette période pour commander une brigade, sans aucun doute sur la recommandation de Loomis, de sorte que ce n’était certainement pas parce que le nouveau OGC ne voulait pas de Dyer. Dyer avait commandé la 7e BIC à Passchendaele, à Amiens et à Monchyle-Preux de manière efficace mais sans brio, ce qui élimine la question d’incompétence. Il s’agissait plus probablement d’une question de santé. En effet, Dyer avait été gravement blessé lors de la deuxième bataille d’Ypres. Dans General Mud5 , Burns note qu’un commandant de brigade restait en moyenne 17 mois en fonction au cours de la Première guerre mondiale. Après une période ininterrompue de 15 mois comme commandant de la brigade, précédée d’une période de travail exigeant au niveau du bataillon dès le début de la guerre, Dyer était prêt pour un repos dont il avait besoin depuis longtemps. Il avait servi de façon honorable et était donc maintenant renvoyé en Angleterre pour occuper le poste moins difficile de commandant du Quartier général de l’instruction canadienne à Seaford.6 Cependant, il reste à savoir si le fait de « changer de cheval au milieu de la course », était la meilleure décision pour la 7 e BIC. Comme nous le verrons, les batailles devinrent au cours des cent derniers jours plus chaotiques et imprévisibles; les responsables du commandement et du contrôle ont dû donc avoir en place des méthodes opérationnelles éprouvées et bien rodées et la connaissance nécessaire pour les mettre en œuvre de manière efficace. Le remplaçant de Dyer, Clark, était plus jeune. Il avait 32 ans. C’était un avocat et un officier de la Milice de Vancouver qui avait commandé les 42 Seaforths depuis le début de la guerre. En tant que commandant de bataillon il avait reçu trois fois l’ordre du service distingué en tant que commandant de bataillon mais semblait dès le début ne pas être à l’aise comme commandant de brigade. 7 Dans ses mémoires, un officier du RCR révèle que Clark lui avait parlé après la guerre et « lui avait mentionné combien il était difficile, pour un nouveau brigadier, d’en demander tant à des régiments de renom, qu’il sentait lui-même cette tension et qu’il n’était guère plus qu’un prête-nom pour la Brigade. »8 Clark révélera lui-même, lors d’une entrevue réalisée dans les années 1960, que le fait de prendre le commandement d’une brigade juste avant une opération compliquée comme le franchissement de la ligne D-Q et la traversée du Canal du Nord, constituait un défi de taille. « J’étais un commandant de brigade assez jeune, » rappelle-t-il dans une entrevue de la CBC. « J’avais 32 ans à l’époque et la plupart de ces commandants étaient plus âgés que moi. Je me sentais donc plutôt comme un étranger dans la Brigade. »9 C’est ainsi que Clark s’est appuyé fortement sur le cmdt du PPCLI, le lcol Charles Stewart, le plus expérimenté et le plus flamboyant des quatre commandants de bataillon. Lorsque Stewart a été tué lors de la bataille du Canal du Nord, le 28 septembre 1918, Clark admit qu’il « ressentait sa perte d’une façon toute particulière ». Stewart l’avait « accueilli de façon très généreuse et lui avait accordé le soutien le plus fidèle qui soit. Je (Clark) m’étais habitué à compter sur lui et j’ai toujours senti que sa gaieté naturelle me remontait le moral et m’encourageait beaucoup. »10 Le fait que le lcol Stewart ait pu avoir un tel effet sur son commandant supérieur en l’espace d’à peine deux semaines témoigne de son charisme et de ses qualités naturelles de leader. Dans les combats acharnés qui suivirent la mort de Stewart, Clark fléchit et perdit le respect d’au moins deux de ses quatre bataillons. Le PPCLI et le 42e Bon. Plus tard, après l’armistice, sa brigade se révolta à Nivelles, en Belgique, en décembre 1918; bien sûr, il y avait eu manifestement ces ordres qui obligèrent les hommes à transporter leur fourbi complet, mais il y avait aussi des raisons plus profondes et plus sombres – un ressentiment et une haine nés de l’inaptitude de Clark à commander la brigade à Tilloy. Clark avoua lui-même que sa première et seule expérience en tant que commandant de brigade dans des attaques prolongées l’a découragé. « Lorsque la 7e Brigade a été relevée, je me suis senti las et déprimé », se rappelle-t-il. « Nous avions subi de lourdes pertes. J’ai ressenti que, d’une certaine manière, je n’avais pas réussi à assurer le leadership auquel mes soldats avaient droit. »11 Au moins un cmdt, le lcol Royal Ewing, entretenait les mêmes pensées et profita de la première occasion, après les batailles de Cambrai, pour faire connaître ses sentiments par des voies détournées – la présentation en fin de mois du journal de guerre du bataillon. Le départ du bgén Hugh Dyer occupe presque toute la page et précède une brève note sur l’arrivée de Clark le 12 septembre. Le libellé et le style sont indubitablement ceux d’Ewing et constituent un message très clair, à l’intention de Clark, comme quoi il ne fait pas l’affaire. Il vaut la peine de traduire intégralement ces deux passages : « Le départ du général Dyer de la 7e Brigade d’infanterie canadienne a suscité un peu partout les regrets les plus sincères. Non seulement son leadership lui avait mérité l’admiration des hommes et des officiers sous son commandement, mais sa personnalité l’avait rendu cher à tous ceux qui le connaissaient. Son jugement sain et équilibré, sa juste appréciation d’une situation militaire ainsi que son sens aigu de la valeur suprême de la vie humaine en ont fait un chef en qui nous avons pu avoir implicitement confiance, tandis que son esprit génial et sincère, son profond intérêt dans la vie de ses Vol. 3, no. 2, été 2000 Presque comme une apostille de cette eulogie, la note d’Ewing, que le nouveau commandant allait sûrement lire : « Le lieutenant-colonel J.A. Clark, DSO, cmdt du 72e Bataillon des Seaforth Highlanders, a pris le commandement de la Brigade. Le colonel Clark arrive avec d’excellents états de service et nous avons confiance que la Brigade remportera d’autres succès sous son commandement. »13 Ewing n’était pas le seul à ne pas aimer Clark. Un autre cmdt, le capitaine G.W. Little, du PPCLI, qui avait remplacé Stewart, était si aigri de ses expériences avec Clark, qu’il s’exclamait dans une entrevue de la CBC réalisée au cours des années 1960 : « Mon brigadier, l’enfant de c… est toujours en vie – je le tuerai si je le vois. »14 PLANS ET PROCÉDURES Sir Arthur Currie, qui est peut-être le plus grand général que le Canada ait jamais produit, considérait que son attaque du 26 août au 3 septembre 1918, couronnée par le franchissement victorieux de la ligne D-Q, était la plus grande réalisation de son Corps, et ce pour plusieurs raisons. [À Amiens] nous sommes montés à l’attaque contre un ennemi qui était lui-même prêt pour l’attaque; ici, il était prêt pour la défense. Là ses tranchées n’étaient pas particulièrement bonnes; il n’avait pas d’emplacements en béton; il n’y avait guère de barbelés; ses canons étaient placés bien en avant afin de l’aider dans l’avance qu’il comptait faire. Ici nous avons attaqué son vieux système, plus fort que partout ailleurs. Ses canons s’échelonnaient sur une grande profondeur et nous étions donc continuellement sous le feu de l’artillerie … c’était probablement là son dernier système et certainement le plus fort qu’il avait à l’ouest de Cambrai.15 « Rares sont ceux qui ne seraient pas d’accord avec Sir Arthur », diton dans le document officiel sur l’histoire du régiment. « En détruisant cette articulation du système de défense allemand, le Corps a permis à la Troisième armée d’avancer; en outre, les répercussions ont été ressenties tout le long du front. »16 Le même jour où les Canadiens recevaient des félicitations pour avoir franchi la ligne D-Q, le maréchal Foch ordonnait une offensive sur un front de 125 milles, avec de puissantes attaques par les forces britanniques, françaises, américaines et belges. Le 10 septembre 1918, six armées, trois françaises et trois britanniques, s’étaient regroupées sur la dernière ligne des défenses allemandes et les Allemands reculaient. Après avoir franchi la ligne D-Q, Currie apprenait du chef d’état-major général que « le commandant en chef était satisfait de la conduite des Canadiens et qu’il espérait qu’il ne serait plus nécessaire de les utiliser dans d’autres grandes opérations au cours de l’année. »17 Malheureusement, il n’a pas pu donner suite à son souhait, car Haig souhaitait gagner la guerre de 1918 et avait besoin du Corps canadien pour continuer d’exercer une pression sur un front allemand de plus en plus faible. Le 15 septembre, le général Currie était informé que le Corps constituerait l’avant-garde de la Première armée chargée de faire le franchissement d’assaut du Canal du Nord et de prendre Cambrai, un centre vital de communications. Nous ne parlerons pas en détails ici du plan audacieux de Currie pour accomplir sa mission; il suffira de dire qu’il a fonctionné. Les 1re et 4e DIC menèrent le Corps canadien. Sur la gauche, la 1re DIC envahit ses premiers objectifs et continua de l’avant. Au sud, la 4e DIC connaissait moins de chance, rencontrant une forte résistance dans le village et la forêt Bourlon. Ces derniers ne furent pris qu’après une forte saturation de gaz toxique par l’artillerie canadienne. C’est ainsi que l’on appela la 3e DIC au front avant son heure : au cours de la matinée du 27 septembre, elle reçut l’ordre de se porter vers l’avant pour relever les éléments de la 4e DIC et soutenir l’élan de l’assaut en aidant à prendre Fontaine-Notre-Dame.18 Franchissant le Canal du Nord dans la foulée de deux autres divisions, la 7e BIC se retrouva dans le village de Bourlon et à l’orée est de la forêt de Bourlon à 18 h. Le bgén John Clark commandait pour une première fois la brigade dans ses opérations. Le nouveau commandant avait reçu un ordre très détaillé et très ambitieux d’un commandant divisionnaire tout aussi nouveau que lui, le mgén F.O.W. Loomis, qui avait remplacé le mgén L.J. Lipsett. En passant dans les rangs de la 11e BIC, la 7e BIC de Clark devait forcer la ligne Marcoing, à partir du village de Sailly au nord jusqu’à l’angle des routes Arras-Cambrai et Bapaume-Cambrai au sud. Cela fait, il devait déplacer sa brigade vers le nord-est et dépasser les limites nord de Cambrai. Puis, la brigade devait traverser la route de Douai et la voie ferrée, prendre Tilloy ainsi que sa colline, et descendre enfin dans la vallée à Ramillies, prendre les sites de franchissement du canal « assurer si possible la maîtrise du village de Ramillies et établir des têtes de pont sur le canal de l’Escaut. » L’historien du PPCLI mentionne sèchement que « il est facile de voir, a posteriori, qu’on avait sous-estimé l’opposition que les Allemands allaient présenter pour conserver les têtes de pont et l’immense force des positions qu’ils avaient préparées le long de la voie ferrée et sur la colline. »19 Autrement dit, on lançait la 7e BIC dans un territoire inconnu sur lequel on possédait peu de renseignement. Clark décida de n’utiliser qu’un seul bataillon pour franchir la ligne Marcoing dans son secteur, le PPCLI lui fournissant 43 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 hommes et sa bravoure personnelle lui a valu la plus profonde admiration de la part de tous. »12 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre un soutien si nécessaire. Cependant, les ordres qu’il donna verbalement au cmdt du RCR plus tard dans la soirée à l’égard du premier volet de son plan ne laissèrent guère de temps pour la procédure de combat. Le document sur l’historique du RCR décrit ainsi les événements de la nuit : Le lieutenant-colonel Ian McCulloch Peu après minuit, le lieutenantcolonel C.R.E. Willets, DSO, quitta le quartier général de brigade pour retrouver son unité et, convoquant une conférence de ses commandants de compagnie dans un trou d’obus derrière un mur endommagé, il expliqua le concept des opérations du lendemain. Il n’y avait ni le temps ni l’occasion d’entrer dans les détails. À la lueur d’une torche électrique, le lieutenant-colonel Willets indiqua sur un certain nombre de cartes la ligne de front et le sens général de l’attaque de chaque compagnie, les limites qui avaient été décidées et les objectifs qui, espérait-on, seraient atteints. Le premier objectif était la ligne Marcoing, au-delà de laquelle l’attaque passerait vers le nord-est, en direction de Tilloy si possible. Dans toute l’histoire du Royal Canadian Regiment, il est probable qu’aucun autre ordre n’a été de manière aussi brève pour une opération d’importance; le commandant, sachant qu’il n’avait guère de temps à perdre, expliqua en effet les choses en moins de mots possible. 20 Le temps pressait et les commandants de compagnie ont essayé d’effectuer des reconnaissances vers l’avant. Mais ils étaient gênés par la profonde obscurité qui régnait et par le bombardement de la zone à l’ypérite par les Allemands. À 5 h 30, le 28 septembre, les trois compagnies du RCR désignées pour l’assaut attaquaient, une compagnie restant en réserve. Le RCR était soutenu par quatre chars d’assaut et « un tir de barrage très efficace ». Il se dirigea droit 44 sur l’orée de la forêt de Bourlon jusqu’à la ligne Marcoing, qui était derrière une voie ferrée dans une position en contrepente par rapport aux attaquants. Lorsqu’ils arrivèrent au sommet, « les hommes réalisèrent l’étendue de la tâche qui les attendait », raconte-t-on dans le document sur l’historique du régiment. « Défendue par de grandes ceintures de barbelés et par de nombreux centres de résistance, dotés chacun d’une garnison de mitrailleurs chevronnés et d’au moins deux canons, la position des Allemands constituait un obstacle que seuls un courage et une détermination inébranlables permettraient de prendre d’assaut. »21 Vers le milieu de la matinée, le régiment était bloqué sous un feu violent provenant de l’avant et du village de Sailly sur la gauche. Le cmdt fut gravement blessé par un obus et son capitaine-adjudant, tué. Le bataillon semblait fléchir. Le RCR fut inspiré par le leadership et la bravoure d’un officier subalterne, le lieutenant Milton « Groggy » Greg, qui, alors que l’avance était stoppée par des obstacles de barbelés, partit seul en avant, trouva une ouverture et entraîna ses compagnons vers l’avant dans les positions allemandes. Puis, il mena des attaques le long du réseau de tranchées allemandes et, se trouvant à court de munitions, alla personnellement en chercher d’autres. Son attaque audacieuse permit aux autres compagnies d’avancer et de passer. Pour sa bravoure, Greg reçut la seule Croix de Victoria accordée au RCR pendant la guerre.22 Le PPCLI, envoyé à l’avant par le bgén Clark pour aider le RCR bloqué, perdit son cmdt casse-cou, le lieutenantcolonel Stewart; le malheureux a été victime d’un obus perdu au moment où le régiment dépassait Raillencourt. Néanmoins, les compagnies, qui avaient déjà reçu leurs ordres, accomplirent leurs tâches et les deux bataillons avaient traversé la ligne Marcoing au début de l’après-midi et nettoyé les positions d’appui de l’ennemi entre les routes d’Arras et de Bapaume.23 Mais il était impossible alors de continuer l’avance, car l’attaque de la 9e BIC sur leur flan droit avait raté. Le 49e Bon traversa la ligne Marcoing et prit position sur la droite du PPCLI pour continuer l’avance vers Tilloy à 19 h. Le tir de barrage d’appui favorisa la 9e BIC sur la droite, à qui l’on avait donné comme objectif de prendre le village de Saint-Olle. Le 49e et le PPCLI continuèrent vers l’avant sans les chars d’assaut qu’on leur avait promis et ne rencontrèrent aucune résistance sérieuse jusqu’à ce qu’ils arrivent à la voie ferrée entre Cambrai et Douai. Le PPCLI rencontra alors une ceinture de barbelés non marquée envahie par la végétation, qui stoppa son avance. Les compagnies de tête du 49e Bon étaient, elles, arrêtées par un tir puissant de mitrailleuses lourdes, qui provenait non seulement de l’avant, mais également de mitrailleuses allemandes sur leur flanc droit à Saint-Olle, que le 9e BIC n’avait pas réussi à dégager. Cette nuitlà, Clark ordonna aux 42e et 49e Bon de reprendre l’attaque le lendemain matin à 8 h.24 « Lorsque le tir de barrage d’appui ouvrit à 8 h du matin, il était clairsemé et inefficace », peut-on lire dans le document sur l’historique du 49e Bon à propos de la malheureuse attaque du 29 septembre. « Les compagnies A et B avançaient contre un tir de mitrailleuses à bout portant. Les deux commandants furent tués, mais leurs hommes continuèrent d’avancer. » Après avoir subi de lourdes pertes, le 49e Bon se rapprochait de la route de CambraiDouai juste de l’autre côté des ceintures de barbelés. Le 42e Bon qui attaquait sur le flanc gauche du 49e Bon n’était guère mieux; puis dans l’obstacle de barbelés, il était décimé par le tir de mitrailleuses installées sur le remblai. Le major C.B. Topp, commandant sur le terrain du 42e Bon pour l’attaque, se rappelle que les compagnies de tête commencèrent à avancer « sur le coup Vol. 3, no. 2, été 2000 … en longues et minces lignes de sections, en ordre dispersé … les compagnies d’appui suivant dans le même ordre à quelque distance derrière. L’avance continua ainsi, presque comme pour un rassemblement, sur plus de 1 000 verges. Pas un seul coup de fusil n’a été tiré et l’on pensait, un moment, que l’ennemi avait évacué la position au cours de la nuit; puis, les Highlanders ont atteint les barbelés en face du dépotoir, deux longues et larges ceintures, très lâches, à moitié cachées dans l’herbe. Les premiers rangs sont passés audessus des fils en les enjambant laborieusement brin par brin. Les hommes de la deuxième ligne réussissaient à passer au travers et le reste du bataillon suivait, près derrière. Puis, comme déclenchées par un signal, des douzaines de mitrailleuses ouvrirent le feu à bout portant le long de la route de Douai à partir du remblai du chemin de fer, d’un point surélevé, sur le flanc. Les rafales ont été si soudaines qu’il était impossible pour les hommes de même se jeter par terre à temps pour y échapper. Les premiers rangs sont tombés comme des quilles, beaucoup d’entre eux avec leurs vêtements pris dans les barbelés, suspendus là, impuissants, sous le feu des mitrailleuses. À partir de ce moment, il fut impossible de commander l’attaque de façon organisée, et c’est tout à l’honneur des sous-officiers et des soldats de n’avoir même pas essayé de faire demi-tour face à ce tir dévastateur des mitrailleuses.26 Le 42e a perdu 50 pour cent de ses effectifs dans ces brèves 15 minutes, mais comme le 49 e Bon, les soldats ont continué à se battre seuls, à deux et par section, faisant feu au fur et à mesure qu’ils avançaient. Les survivants prirent des positions de tir et occupèrent des fosses le long de la route CambraiDouai qui fait face au remblai de la voie ferrée, distante d’environ 300 à 400 mètres. Le fait que des « douzaines » de mitrailleuses aient arrêté l’attaque des Highlanders a été prouvé le lendemain matin, lorsque le 42e a repris l’avance, après que le PPCLI et le RCR eurent passé dans ses rangs pour prendre le village de Tilloy. L’une des deux compagnies mixtes de survivants a trouvé 36 mitrailleuses abandonnées parmi les corps d’Allemands morts sur une distance de 100 mètres le long de la voie ferrée, juste en face d’elle.27 On a ensuite fait bonne utilisation de ces armes contre l’ennemi. Après l’échec des attaques du 29 septembre, le 7e BIC du bgén Clark reçut l’ordre de prendre Tilloy le lendemain matin. L’historien Dan Dancocks observe à ce propos : « Le choix de cette brigade peut être remis en question; elle était fatiguée et décimée, ayant combattu pendant trois jours de suite. »28 Le caporal Will Bird consigne ainsi la réaction des hommes qui, à ce moment, étaient amers : « Sellars et ses hommes disaient qu’il était impossible que nous leur ayons donné l’ordre d’attaquer de nouveau, que c’était du suicide. »29 Le PPCLI partit à l’assaut avec à peine un peu plus qu’une seule compagnie. Le 42e était réduit à six faibles pelotons de fusiliers regroupés en deux faibles compagnies. Le RCR n’était guère en meilleur état. Dans les annales du PPCLI, on peut lire que la bataille finale de Tilloy « dépassait tout autre combat des dernières années de la guerre, c’était un combat sans merci ». Même son de cloche pour le 49e : la bataille, lit-on dans le document sur son historique, était devenue une « lutte homme contre homme et, rarement, section contre section ou peloton contre peloton. Que ce soit à l’attaque ou en défense, la mitrailleuse était l’arme clé. » Les hommes laissés hors de la bataille de tous les bataillons furent rassemblés dans la nuit du 29 septembre et le PPCLI et le RCR étaient dans les zones de rassemblement d’attaque à 3 h 30 dans la nuit du 30 septembre. À 6 h du matin, ils partirent à l’attaque, soutenus par un formidable tir de barrage ainsi que par des mitrailleuses et des batteries de mortiers retranchées. Ainsi, ils prirent d’assaut assez facilement le remblai de chemin de fer.30 Une fois le remblai franchi, et s’exposant de nouveau aux postes et aux nids de mitrailleuses allemands configurés en profondeur, les deux bataillons durent bientôt s’arrêter. Selon son commandant par intérim, le PPCLI prit les Allemands de Tilloy par surprise, et occupait le village dès 7 h 30, prenant par la même occasion une batterie de canons de 77 mm et 50 mitrailleuses allemandes. Avec les restes du 49e Bon en renfort, le PPCLI réussit à conserver ses maigres gains sous un tir d’obus nourri jusqu’à ce que la 9e BIC la relève cette nuit-là. Or, la 9e BIC n’eut guère plus de chance que la 7 e BIC pour avancer le lendemain. En débouchant de la ligne de chemin de fer, le RCR qui se trouvait sur la gauche du PPCLI, fut accueilli par un feu nourri de mitrailleuses, dont la plus grande partie venait de Blécourt, où la 4e DIC était bloquée. En fait, vers le milieu de la matinée, la 7e BIC avait été complètement arrêtée par les Allemands et avait cessé d’être une formation combattante efficace. Le bgén Clark le savait, de même que ses officiers et ses soldats.31 PERSONNALITÉS ET TENSIONS Jusqu’à Cambrai et jusqu’aux malheureuses répercussions après l’Armistice, la « Combative Brigade » avait été l’une des brigades les plus fiables et les plus combatives du Corps. Après Passchendaele, le bgén « Daddy » Dyer avait refait les effectifs de sa Brigade en y incorporant de nouveaux officiers et de nouveaux hommes; il avait perfectionné ses capacités offensives par des patrouilles et des raids audacieux au front et par un entraînement à la guerre en rase 45 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 de huit heures » et que le volume du tir de barrage était relativement faible. »25 Cela ne les empêchait pas d’avancer : Le lieutenant-colonel Ian McCulloch Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre campagne lorsqu’il n’était pas au front. Trois bataillons d’infanterie avaient de nouveaux cmdt en 1918, le RCR ayant reçu le sien immédiatement avant Passchendaele, le PPCLI quelques mois plus tard et le 42e vers le milieu de l’été, lorsque le lieutenant-colonel Bartlett McLennan fut tué par un obus perdu. Au RCR, le lcol Claude Hill, DSO, dit « le martinet », qui était arrivé juste avant la bataille de la Forêt du Sanctuaire, était remplacé par son cmdtA, le major C.R.E. « Dick » Willets, DSO, un commandant de compagnie « original » compétent et expérimenté de bataillon outre-mer et officier de la force permanente depuis une dizaine d’années. Affecté à un rôle de soutien consistant à fournir des équipes de transport de munitions et de brancardiers à « Pash », son bataillon fonctionna bien. Cependant, sa première épreuve de commandement ne devait arriver qu’après la bataille d’Amiens, qu’il avait ratée parce qu’il était en congé à ce moment-là (du 16 juillet au 18 août) – sans doute victime du plan de déception soigneusement contrôlé et du secret bien gardé qui entourait l’opération. Le RCR serait mené par un capitaine dans cette bataille importante. Willets allait être de retour pour les durs combats d’Arras et des environs, même si son bataillon semble avoir été surpris en train de faire la sieste pendant les batailles de la colline d’Orange et de Monchy-le-Preux. « Sans doute parce que les ordres de monter au front étaient arrivés de façon inattendue », peut-on lire dans le document sur l’historique du régiment, « tous les officiers sont partis à l’attaque vêtus de l’uniforme que l’on ne porte habituellement que lorsque l’on n’est pas au front. Dans les combats serrés qui suivirent, ce détail a certainement eu son importance, car les officiers, avec leurs ceintures et leurs boutons brillants, et leurs pantalons de couleur claire, constituaient des cibles bien visibles et facilement identifiables pour les tireurs d’élite ennemis. » Il semble que Willets maintenait la tradition de son 46 prédécesseur en conservant les normes de la force permanente au front. Blessé lorsque le quartier général du bataillon a été touché directement pendant la bataille de la ligne Marcoing en septembre, Willets fut remplacé par le major C.B. Topp, DSO, cmdtA du 42e, alors en visite de liaison. Peu de temps après, un capitaine du RCR devint commandant. Une fois que le régiment fut retiré du front, le major G.W. MacLeod, DSO, un officier du 49e Bon servant avec le 3rd CMG Bn devait être promu et nommé cmdt du régiment, probablement à la consternation de plusieurs officiers de la force permanente.32 Au PPCLI, le lcol Agar Adamson, l’excentrique cmdt de 52 ans que ses hommes appelaient avec humour « Ack Ack », était épuisé. « L’été précédent, il avait passé une semaine à l’hôpital pour soigner sa fièvre des tranchées » note son biographe. « Plus tard il avait été hospitalisé en raison d’une dose d’ypérite. Sa vue était si faible, même avec son seul et unique bon œil, qu’il ne pouvait rien faire sans le monocle qui faisait l’objet des plaisanteries du régiment. Même lorsqu’il portait son monocle, il tombait sans cesse dans des trous et trébuchait sur des obstacles lorsqu’il inspectait les tranchées la nuit. » Ses nerfs avaient également cédé et le commandant de brigade prit les devants. « Le brigadier a été très gentil » écrivit-il à son épouse. « Quiconque occupe un poste de commandant devrait être en bonne santé et jeune. Étant donné que je suis borgne et âgé, cela ne joue pas en ma faveur. » Adamson se démit de ses fonctions de commandant sous le prétexte de la mauvaise santé de son épouse qui se trouvait au Royaume-Uni, mais en fait, c’était de sa propre santé qu’il s’agissait.33 L’opinion de Dyer selon laquelle son cmdt devait être en bonne santé et dynamique garantissait que le fondateur du régiment, le lieutenantcolonel Hamilton Gault, qui portait une jambe de bois à la suite des blessures reçues dans la Forêt du Sanctuaire, ne pouvait pas remplacer Adamson. Comme le note le biographe de Gault « personne n’attachait d’importance à la succession d’Adamson au cours des attaques allemandes » 34 , mais le moment venu, on peut voir le processus et les délibérations attentives qui entouraient le choix d’un commandant de bataillon en 1918. Le bgén Dyer estimait que Gault n’était pas l’homme qu’il fallait et recommanda que le cmdt par intérim, le major C.J.T. « Charlie » Stewart soit titularisé. Le mgén Lipsett, OGC de la 3e DIC, était d’accord, mais Currie, le commandant du Corps, pensait que Stewart n’avait pas l’équilibre nécessaire dans son caractère et demanda à Lipsett de consulter Gault. Le biographe Jeffery Williams raconte ce qui suit à ce sujet : Gault n’avait aucun doute que Stewart ferait combattre le bataillon avec audace et efficacité dans n’importe quel genre d’action. Mais loin du front, alors que l’adrénaline n’avait pas à couler, il ne montrait guère d’intérêt dans sa gestion quotidienne. C’était un soldat qui remplaçait trop fréquemment une réunion d’administration normale par une rencontre tumultueuse au mess. Plus d’une fois, le régiment avait dû le sortir d’une impasse lorsqu’il était en permission à Londres. Plus d’une fois, parce qu’il avait trop bu, l’avait-on caché d’un général en visite. Il était impulsif et enclin à donner sans réfléchir son opinion sur des sujets sérieux. Il était invraisemblable qu’il représente bien le régiment au sein du Corps et on le considérerait probablement comme un insignifiant, sinon un pitre. Il semblait incapable de ne pas être trop proche de ses subalternes, de faire la distinction entre l’amitié et la familiarité, l’autorité et l’indiscipline, – ce qu’un commandant doit Vol. 3, no. 2, été 2000 Sur le plan tactique, Stewart savait quoi faire sur le champ de bataille; ses compétences et ses capacités à ce chapitre étaient sans reproches; mais on considérait que c’était l’administration, un aspect tout aussi important du commandement, qui était son grand point faible. À cause de cette lacune en administration, il fallait émettre des réserves quant au « professionalisme » de Stewart; un certain « déséquilibre» et quelques carences dans sa personnalité le rendaient un peu gauche dans ses rapports humains. C’est ainsi que Gault recommanda que lui-même, en tant que major principal, prenne le commandement, et le commandant du Corps en convint. Le 18 juin 1918, les ordres du Corps canadien annonçaient : « Le major (lcol par intérim) A.H. Gault est nommé temporairement lieutenant-colonel au commandement du PPCLI, la nomination entrant en vigueur le 28 mars 1918. » Cependant, lorsque Gault arriva au régiment, Stewart était en permission et il fut accueilli par le major George Macdonald, cmdtA par intérim, (auparavant capitaine d’étatmajor « I » de la 7e BIC qui s’était rétabli de ses blessures) et qui lui demanda de lui parler en privé. Ce coup du sort fit ressortir l’aspect politique « officieux » et définitif du processus de sélection du commandant de bataillon. Macdonald dit carrément à Gault que le régiment dans son ensemble ne le reconnaissait plus et que les officiers pensaient qu’il était physiquement incapable de commander. « Ils voulaient Stewart, un soldat de première classe, qui les avait commandés pendant les trois derniers mois, qu’ils connaissaient et en qui ils avaient confiance » note le biographe. La révélation finale était que Dyer, le commandant de la Brigade, qui n’avait pas encore parlé à Gault, pensait que Gault était incapable de commander et avait demandé Stewart à ce poste.36 Gault était abasourdi et eut ensuite un entretien avec l’OGC de la 7e BIC au cours duquel il apprit toute la vérité. « Même si « Daddy » Dyer admirait Gault et le considérait comme un ami, il pensait vraiment que, avec seulement une jambe, il était incapable de commander, » écrit Williams. Aussi gentiment qu’il le put, [Dyer] le lui dit et confirma qu’il avait demandé Stewart … Lorsque [Gault] quitta le quartier général de la Brigade, il frisait le désespoir. Étant donné l’échec de son mariage, il avait concentré tout son amour et ses aspirations sur le régiment qui le rejetait maintenant … Si ses officiers et le brigadier le considéraient comme incapable de commander, il n’y avait pas d’autres solutions, pour lui, que de refuser le commandement qui était devenu l’ambition de sa vie.37 Gault commandera le régiment après l’Armistice, mais pas avant le fiasco provoqué par le commandement pourri et indiscipliné de Stewart. En toute justice, les commandants de brigade et les autres commandants de bataillon aimaient bien Stewart. Le document sur l’historique du PPCLI mentionne qu’il possédait « une personnalité très inhabituelle » et qu’il « était l’un des officiers de bataillon les plus connus du Corps canadien », comme en font foi les récits interminables de sa vie en tant que membre de la Police montée Royale du Nord-Ouest, de ses campagnes en Belgique et en France [et] de ses fantaisies de casse-cou aux quatre coins du monde. » L’un de ses commandants de peloton se souvient : « La vie de Charlie Stewart était une légende. Natif de la Nouvelle-Écosse, il avait été mercenaire et avait combattu, semble-til, dans la moitié des armées du monde. C’était un personnage assez original, comme Adamson, [qui] possédait toutes les qualités de leadership, mais qu’il choisissait de masquer sous un aspect fantaisiste et spontané. »38 Adamson, l’ancien cmdt, aussi entier dans son abnégation pour le régiment que pouvait l’être Gault, était outré par l’attitude de ses anciens officiers de bataillon. Il était convaincu que beaucoup trop d’entre eux ne demandaient qu’à être promus, et il écrivit à son épouse que « même les meilleurs d’entre eux semblent oublier pourquoi il sont venus ici ». Et d’ajouter : Je considère que Charlie Stewart est égoïste à ce sujet et … j’ai honte des C.S. et des autres officiers à qui ils n’auraient jamais dû permettre d’être à égalité avec lui dans les questions de politique. Il ne sera jamais rien d’autre qu’un garçon irresponsable sans rien de la réserve ni de la dignité qui vont de pair avec le commandement d’un régiment et il ne pourra jamais rien faire d’autre que de commander une compagnie de combat, ce qu’il fera toujours bien et avec bravoure.39 Le 42e Bon perdit son cmdt, le lcol McLennan, tué par un obus perdu lors d’une reconnaissance quatre jours avant la bataille d’Amiens. Son jeune cmdtA, le major Royal Ewing, était officier de la milice et courtier d’assurance avant la guerre, un officier « d’origine » qui avait servi sans interruption en France comme commandant de peloton, capitaine-adjudant et commandant de compagnie. L’aumônier du 42e a résumé dans son journal de bord les sentiments de tous lors de la mort de McLennan : Les mots ne peuvent pas exprimer la peine que nous ressentons. Tout ce qu’il a été pour nous et tout ce qu’il a fait pour nous, nous ne le saurons jamais totalement, et ce n’est qu’au fil du temps que nous commencerons à nous rendre compte de la façon dont son esprit était la dynamique de toute notre vie et la pierre angulaire de tout ce qui est vrai et méritoire dans notre bataillon. Sa vie dans notre monde porte ses propres témoignages. C’est dans un honneur sans reproches, dans une distinction sans faille, dans le devoir qu’il accomplit sans peur, dans la suprématie de son leadership, dans 47 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 absolument être capable de faire. Mais selon Gault, l’un des pires effets, si le régiment était mal dirigé, serait que les hommes en souffriraient.35 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre son amitié qui surpassait la loyauté, qu’il a vécu parmi nous, parfait soldat et gentilhomme.40 Le lieutenant-colonel Ian McCulloch Les problèmes de la 7e BIC ont débuté le 28 septembre avec la mort du lcol Stewart que la plupart des officiers de la Brigade pensaient indestructible. Le moral dans le bataillon de Stewart est nettement tombé et Clark a commencé à se faire du souci lorsque le PPCLI a été retenu par une large bande d’obstacles de barbelés qui bloquait la route de Douai-Cambrai. La barrière en question était un obstacle formidable, tellement enfouie dans la végétation qu’elle ne pouvait pas être décelée sur les photographies aériennes. Malgré l’obscurité croissante, le PPCLI avait déployé des efforts énergiques pour franchir cette barrière cachée et avait découvert une petite ouverture. Cependant, il s’agissait d’un piège; l’endroit était guetté par plusieurs mitrailleurs allemands qui avaient réglé leur tir. Le PPCLI essaya d’y passer dans la pénombre, mais il fut fauché. On trouva plus tard à cet endroit plus d’une quarantaine de membres morts du PPCLI, entassés sur un rayon d’une vingtaine de mètres. À la faveur de l’obscurité, le PPCLI recula de 200 verges pour récupérer. Le capitaine Little, commandant principal de la compagnie et cmdt par intérim à partir de 16 h ce même après-midi, dit à ce sujet : Dans nos premières attaques à Tilloy, nous avons été retenus sur un chemin submergé par des barbelés et … nous ne pouvions plus bouger. Nous avons donc effectué un repli d’environ 200 verges. Lors de ma première conversation que j’ai eue avec le brigadier, il m’a dit ceci : « Little, connaissez-vous les premiers principes de la guerre? » Je lui ai répondu : « Je n’en suis pas sûr. Quels sont-ils? » « Et bien, » m’a-til répondu, « l’un d’eux est de conserver ce que vous avez. » J’ai alors dit : « Nous ne l’avons jamais 48 eu, ne vous inquiétiez donc pas. Puis il dit : « Le 42e va le faire. » Il dit donc à Ewing (cmdt du 42e) qu’ils allaient le faire et Royal Ewing de répondre « Nous ne voulons pas le faire, si le PPCLI n’a pas pu le faire, nous ne pouvons pas le faire non plus. » « Pourquoi? » a demandé Clark. « Parce qu’il y a trop de fils barbelés là. » « Comment savezvous qu’il y a trop de fils barbelés là? » « Le PPCLI nous l’a dit. » [Clark] dit « J’ai des photographies aériennes. Il n’y a pas de barbelés là. » Royal dit « Si le PPCLI nous dit qu’il y a des fils barbelés là, nous les croyons monsieur. Si c’était nous qui leur disions qu’il y a des fils barbelés, ils nous croiraient également …! »41 Les commentaires de Little dans son compte-rendu de l’opération prouvent que ce renseignement partagé sur l’obstacle de barbelés avaient été portés à l’attention de Clark mais que ce dernier n’en avait pas tenu compte. « Il n’est pas suffisant de compter seulement sur les photographies aériennes pour repérer les fils de fer barbelés. Il semble absolument nécessaire d’effectuer des reconnaissances en personne. » La déclaration suivante constitue une autre allusion à la conversation ci-dessus : « La liaison la plus étroite possible entre les bataillons est des plus importantes. Les quartiers généraux des bataillons étaient rapprochés et les renseignements nécessaires provenant des unités participantes étaient immédiatement disponibles. » 42 Autrement dit, il n’y avait aucune raison de ne pas connaître la réalité d’un obstacle important, qui nécessitait un bombardement par l’artillerie. Par contre, la Brigade avait une mission et Clark disait en fait à ses subordonnés de l’accomplir. À la fin de l’échange musclé de Little et de Ewing avec Clark, on dit que Ewing était d’accord pour attaquer, mais non sans avoir protesté. Ewing était si préoccupé qu’il est passé au QG Bon du RCR pour récupérer son cmdtA, le major Charles (« Toppo ») Topp, qui était le cmdt par intérim du RCR après que le lcol C.R.E. Dick Willets ait été sérieusement blessé par un éclat d’obus la veille. Topp rappellera plus tard, dans une lettre à Duguid, l’historien officiel de la guerre et un grand ami personnel, que Ewing était venu le voir à 2 h, le 29 septembre, pendant une nuit, aussi noire que l’« as de pique » et : il m’a dit que le 42e avait reçu l’ordre d’attaquer à 8 h à gauche de la position du RCR et que cela l’inquiétait beaucoup, car il n’avait pas vu le terrain et n’avait absolument pas eu l’occasion de repérer les itinéraires vers la position de rassemblement. Personne, dit-il, n’a semblé capable de guider le bataillon et il a terminé en me demandant — « bon sens, Toppo, venez avec nous, car nous sommes très mal pris! » … Je connaissais déjà le terrain parce que j’y étais déjà allé avec le RCR; j’ai donc laissé mon commandement sans demander la permission, en informant simplement la Brigade que je retournais au 42e …43 On peut se demander où se trouvaient les observateurs de la Brigade, qui étaient censés agir en tant que guides pour de telles opérations. Peut-être avaient-ils été blessés ou tués au cours de combats précédents et qu’aucun personnel dûment entraîné n’était là pour les remplacer. Il se peut aussi que la Brigade ait tout simplement laissé de côté les mesures normales de commandement et de contrôle afin de gagner du temps. Le 42e est parti à l’attaque à partir des positions avant du PPCLI avec un appui d’artillerie minimum, tout comme le 49e à sa droite, et il a avancé jusqu’au point où le PPCLI s’était arrêté. « Le 42 e a perdu 340 hommes en 10 minutes », déclare Little (selon les dossiers officiels, les pertes réelles ont été de 288 militaires de tous les grades). « Toppo », le commandant au sol désigné pour Vol. 3, no. 2, été 2000 Dans son compte rendu de l’opération, Ewing cache à peine sa rage quant aux problèmes éprouvés durant l’attaque. La majeure partie du rapport pourrait s’adresser à Clark, et il est important de remarquer qu’au niveau de la brigade, il n’y a eu aucun commentaire dans le compte rendu sur les opérations adressé à la division. Ewing fera, entre autres, les commentaires suivants : « il serait souhaitable que l’on ait l’occasion, si possible, d’effectuer une reconnaissance avant une attaque »; « des informations erronées comme dans l’attaque du 29 septembre lorsque nous avons rencontré une ceinture de barbelés dont nous ignorions l’existence »; « Il faut des informations plus exactes sur le front et sur la position à partir de laquelle on se lance à l’attaque sans quoi il est impossible d’établir une orientation appropriée pour l’artillerie », et, « la nécessité de donner davantage de temps aux commandants de bataillon avant de se lancer à l’attaque afin de discuter à fond du sujet avec les commandants de compagnie, et aussi avec les effectifs des compagnies, et que l’on donne suffisamment de temps à ces derniers pour se mettre en position ».45 Ewing n’est pas le seul à faire ressortir ce dernier point. Le major Chattell, cmdt par intérim du 49e Bon qui avait attaqué sur la droite du 42e le même matin, exprime froidement sa principale préoccupation : Il est important de recevoir suffisamment à l’avance des ordres précis et définitifs pour les attaques qui viennent afin de permettre aux intéressés d’être parfaitement au courant de la situation. On ne semble pas évaluer à leur pleine mesure les difficultés de communication avec les commandants de compagnie en première ligne.46 En se lançant dans l’inconnu sans reconnaissance préalable, sans une bonne préparation et sans un bon appui de l’artillerie, c’était recommencer de A à Z l’expérience de la Somme. Il n’est donc guère surprenant que certains soldats d’expérience, qui connaissaient les ressources disponibles et la façon dont la collaboration entre l’artillerie et l’infanterie était censée se faire, sont devenus amèrement convaincus que le commandement supérieur disposait à son gré de leur vie. Il ne fait aucun doute que Clark n’avait pas totalement saisi la procédure de combat d’une Brigade dans des opérations mobiles et s’est fié à son expérience du commandement qu’il connaissait le mieux. Il traitait ses commandants de bataillon comme s’ils étaient des commandants de compagnie. Le capitaine Little fait remarquer : Clark était un merveilleux commandant de bataillon mais il ne s’est pas rendu compte que lorsqu’il est devenu brigadier il avait quatre commandants de bataillon sous ses ordres … On ne nous a pas donné l’occasion [de commander]. Le commandement supérieur avait un plan stratégique qui permettrait de gagner la guerre sans s’en rendre compte, à la surprise de tous, et on nous a demandé de faire des choses impossibles.47 complets sur les conditions qui existaient, je suis d’avis qu’avec un bombardement par les canons sur les dépôts et la voie ferrée, suivi d’un tir de barrage, il aurait été possible d’avancer sans subir de si lourdes pertes. »48 Dans son esprit, Clark se sentait responsable de la boucherie car il n’avait pas eu le courage de dire à Loomis qu’il avait besoin de davantage de temps et de ressources. En toute justice pour Clark, cependant, l’attaque de 20 h du 42e n’était pas un fait isolé. Toutes les brigades de la 3e DIC attaquaient elles aussi, car en conservant la pression et en attaquant sur un vaste front, on avait la meilleure défense contre une contre-attaque allemande. Cependant, les attaques des brigades n’étaient pas coordonnées. Comme Dancock le fait remarquer dans Spearhead to Victory, son étude des opérations du Corps en 1918 jusqu’au niveau des brigades, … il fallait s’attendre … à ce que la 3e Division éprouve des problèmes. Les trois officiers supérieurs qui dirigeaient les opérations du [28 au 30] septembre étaient trois recrues. Le commandant divisionnaire, le major général Frederick Loomis, avait eu une promotion à peine deux semaines auparavant et les deux brigades [la 7e BIC et la 9e BIC] étaient dirigées par des hommes qui n’avaient pas eu le temps de se familiariser avec leur niveau de commandement.49 Dépourvu d’expérience, Clark laissait entendre dans une citation antérieure qu’on exerçait des pressions sur lui pour qu’il avance aussi vite qu’il le pouvait. Ses commandants de bataillon n’estimaient pas que cela devait être accompli en éliminant la procédure de combat ni sans « une appréciation sûre de la situation militaire » comme son prédécesseur avait coutume de faire. Ewing critique ouvertement Clark dans son rapport après les opérations lorsqu’il déclare : Étant donné que les unités n’ont pas eu le temps de se préparer et que l’artillerie d’appui n’a pas, elle non plus, eu le temps de se rapprocher du front et de préparer leur tir, le 29 septembre a été un jour de combat extrêmement violent où aucune des unités du Corps expéditionnaire canadien n’a guère gagné de terrain.50 « S’il avait été possible de retarder l’attaque dans la matinée du 29 afin d’obtenir des renseignements Après que le 42e ait reçu le ciel sur la tête » il a eu son deuxième entretien avec le bgén Clark dans la soirée du Little se rappelle que : 49 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 l’attaque, les quatre commandants de compagnie et les quatre cmdtA de compagnie ont tous été blessés ou tués. Le 49e a également subi de lourdes pertes lorsqu’il a forcé son chemin à travers les barbelés et a obligé les mitrailleurs allemands à se replier jusqu’à la voie ferrée et au village de Tilloy.44 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre 29 septembre : Celui-ci lui a dit : « Et bien, Little, vous allez recommencer. Vous n’avez pas réussi la première fois, donc, vous y arriverez maintenant. » Je lui ai répondu : « Je ne pense pas que nous ayons suffisamment d’hommes pour y arriver. » « Si c’est le cas, Little, c’est que vous avez beaucoup de traînards. » Et bien, je pense que vous pouvez vous rendre compte qu’en disant cela à quelqu’un qui était dans le PPCLI comme moi, c’était exactement comme traiter quelqu’un de tous les noms devant sa mère. Cela m’a rendu furieux au plus haut point. Little frisait maintenant l’insolence ouverte, mais ses remarques montrent que Clark était absolument incapable de monter une attaque de brigade coordonnée ni même prêt à essayer. Little pensait en lui-même : « Que le diable l’emporte. Nous montrerons à ce saligaud que nous pouvons y arriver, même s’il a tué la moitié du 42 e … » Il a ensuite demandé à Clark : « Si nous devons quand même passer par là, y a-t-il un plan de brigade ou dois-je le faire moimême. » « Faites-le » répondit Clark. Le lieutenant-colonel Ian McCulloch « Et bien, nous n’allons pas procéder de la même façon que cela s’est fait jusqu’à présent. »51 Un examen attentif de l’ordre d’opération d’une page de la brigade pour l’attaque du PPCLI et du RCR sur Tilloy et sur la colline de Tilloy (diffusé à peine six heures avant l’attaque) est révélateur. L’ordre ne contient absolument aucune instruction de coordination. Il est important de remarquer que l’artillerie, les mortiers et les mitrailleuses, avaient tous reçu ordre de coopérer avec les bataillons qui partaient à l’assaut. On peut toujours être charitable envers Clark et dire qu’il suivait le style de Currie en permettant à ses commandants de bataillon, aux hommes sur le terrain, de formuler le plan.52 Ainsi, Little a pris ce qu’il lui restait 50 de son bataillon décimé, est passé sur la gauche de l’autre côté de la voie ferrée, le 30 septembre et surpris les Allemands en défense sur le flanc droit. Les mitrailleuses lourdes fournissant un tir d’appui à partir de la colline Chapel, les mortiers Stokes assurant l’appui rapproché et le RCR couvrant son flanc gauche après qu’il soit passé à droite, Little signale que « nous les avons pris plus ou moins par surprise et ils ont subi de lourdes pertes. » Mais le bataillon décimé, qui selon le document sur l’historique du régiment ne « comptait guère plus qu’une compagnie de fusiliers » se trouvait sous l’observation de mitrailleurs allemands situés en hauteur et en profondeur derrière Tilloy, lesquels entrèrent en action.53 « Nous avons eu beaucoup de mal à grimper cette colline, mais disons que nous avons réussi. Or, je ne pense pas que nous ayons « vraiment » atteint le sommet. Ils sont sortis plus que nous sommes entrés, mais ils nous ont servi toute une correction. » Le PPCLI et le RCR n’ont jamais pris la colline de Tilloy et lorsque la 9e BIC a traversé le chemin le lendemain à 5 h du matin, les annales historiques du PPCLI disent simplement « la rude épreuve était passée ».54 La 7e BIC avait été saignée à blanc par trois jours de combats ininterrompus. Malgré les procédures liées aux effectifs laissés hors de la bataille que les bataillons ont utilisés pour les batailles de Cambrai et de ses environs, les chefs subalternes les plus forts et les plus efficaces ont été tués rapidement dans les bataillons. Le 30 septembre, le 49e Bon n’avait plus d’officiers subalternes et a dû rappeler ses officiers de liaison pour conserver un semblant de commandement.55 Le lcol Ewing écrivait le 2 octobre 1918 : « On utilise continuellement les troupes sans se donner l’occasion de se réorganiser convenablement; c’est particulièrement le cas pour les sous-officiers, parmi lesquels on déplore beaucoup de pertes. »56 Comme nous l’avons fait remarquer, les officiers subalternes ont été également durement touchés et ce manque de leader dans la 7e BIC aura de graves ramifications, particulièrement dans le PPCLI, après l’Armistice. FOURBIS ET PROVOCATION Un historien du PPCLI note qu’après la prise de Mons, les canons se sont tus : Tout n’était pas rose. Depuis la catastrophe de Tilloy, le bataillon n’avait pas refait ses effectifs complètement. De nouveaux officiers qui n’avaient jamais été liés au PPCLI avaient été puisés à même un bassin de renfort et on n’avait pas eu le temps d’inculquer à ces nouveaux hommes les us et coutumes du Régiment. À l’Armistice du 11 novembre, les incitatifs fondamentaux essentiels à la discipline dans une armée de citoyens se sont trouvés à disparaître. Les hommes ont accepté de se conduire comme des soldats, mais ils ont commencé à se demander « pour combien de temps? » Ils trouvaient les routines et les fonctions militaires de plus en plus irritantes. La clé du moral, comme toujours était le leadership.57 En deux mots, la nécessité de la discipline opérationnelle ayant disparu, les officiers et sous-officiers inexpérimentés du bataillon devaient s’en remettre aux « petites manies » du temps de paix pour garder les soldats occupés. Les officiers clés partirent en permission. Les autres bataillons de la 7e BIC vécurent la même expérience que le PPCLI. Lorsque la Brigade a marché de Mons à Nivelles, arrivant à destination le 13 décembre 1918, plusieurs centaines d’hommes de ses diverses unités se sont rencontrés dans le parc le lendemain pour discuter de leurs griefs. « La cause immédiate de leur mécontentement : la marche qu’ils avaient dû faire, fourbis complets sur le dos, une procédure qui avait été mise de côté pendant les périodes opérationnelles de la guerre », se rappelle un commandant de peloton du PPCLI. « En outre, on n’avait pas dit au personnel non officier où il se rendait. Beaucoup pensaient qu’ils Vol. 3, no. 2, été 2000 Au cours de la soirée, la foule dans le parc avait grossi et environ 200 personnes étaient rassemblées au QG de la Brigade. Un petit groupe, dans lequel il y avait Eric McKnight, soldat américain du PPCLI et auteur à venir du classique Lassie, reçut la permission d’entrer et de parler au brigadier. « Je suis entré parlé au brigadier », rappelle McKnight dans une lettre à Gault bien des années après la guerre. « Il semblait avoir un immense chagrin et j’étais vraiment désolé pour lui. » Mais Clark n’allait accepter aucune des demandes des soldats qui protestaient. Tôt le lendemain matin, une foule de soldats d’autres unités vinrent visiter les quartiers du PPCLI pour inciter les hommes à participer à une grande manifestation à 8 h 30 sur la place de la ville. Lorsque le bataillon a défilé à 9 h, il manquait toute une compagnie que l’on pensait être à la manifestation. À quelques rares exceptions près, les hommes des trois autres compagnies étaient restés dans leurs bivouacs, prêts à participer au défilé.59 Sur la place de la ville, après avoir écouté plusieurs agitateurs, la foule fit une seconde visite des quartiers des unités; elle cherchait à trouver un peu partout des partisans à sa cause et a même fait irruption dans les corps de garde afin de libérer les prisonniers. Les documents sur l’historique du PPCLI et du RCR ne mentionnent pas du tout la mutinerie, tandis que ceux du 49e Bon et du 42e la décrivent de façon assez détaillée. Cela porte à croire l’historien Jeffery William lorsqu’il énonce que « les rapports officiels de la Brigade et des bataillons touchés cherchent à étouffer l’affaire; des commandants défendaient à la fois leurs hommes et leurs propres actions dans une situation regrettable. » 60 Le document sur l’historique du 42e dit qu’aucun des membres de ce bataillon n’a participé à la mutinerie. On affirme même que lorsque les « émeutiers » ont enfoncé les portes du corps de garde du bataillon « dans le but de libérer les prisonniers », les prisonniers ont aidé le commandant du corps de garde en disant qu’ils faisaient, en fait, partie de la garde. Après quoi, les prisonniers libérés « retournèrent au corps de garde de leur propre chef ». Cependant, il existe quelques preuves que certains soldats du 42e ont participé à des manifestations et à des rassemblements. Le soldat Frank Flory, 96, se souvient que : … certains membres du 49e l’ont pressenti pour faire de la propagande dans le 42e. Je ne sais pas qui était derrière tout cela, mais un soir un ordre vint selon lequel tout le monde devait se rencontrer devant le quartier général pour, ensemble, exiger l’élimination du port du fourbi pendant les marches. Il y avait plein de monde et je ne sais pas comment la plainte a été présentée dans le tumulte … je ne sais pas si les soldats meneurs ont été, oui ou non, punis, mais je sais qu’en temps que membre du Black Watch, j’ai dû me présenter devant mon colonel commandant. Après toutes les questions et réponses, je n’ai écopé que de 7 jours de garde …Après cela, chaque fois que la [Brigade] se déplaçait, nous étions toujours accompagnés par la police militaire et la police montée. Tout rentra dans l’ordre à partir de là et c’est bien que cela se soit terminé ainsi car les conséquences auraient pu être terribles.61 Les ordres que le bgén Clark a donnés au lcol Ewing pour qu’il y ait un service de police dans la Brigade après la mutinerie est une preuve que la majorité du 42e est restée stable. « Or, nous n’aimions pas du tout faire ce travail » admet Ewing au biographe de Currie, Hugh Urquhart, après la guerre. En effet, Clark devait faire face non seulement à un personnel non officier séditieux, mais également à un commandant de bataillon révolté. Sans aucun doute, Clark est le personnage auquel pense Topp, l’historien du 42 e , lorsqu’il écrit « certaines autorités étaient en faveur de l’utilisation de la force pour mater la rébellion, mais des têtes plus froides se sont imposées. » Ewing, manifestement « une tête plus froide », écrit ceci à Urquhart : Nous avons été absolument équitables envers Clark à cet égard mais, à mon avis, Clark a fait un rapport injuste au commandant du Corps, ce qui m’a complètement estomaqué. Currie a été absolument juste et, même s’il aimait sans aucun doute Clark, je suis sûr que, par moment, il a perçu ses faiblesses … Si seulement Clark avait pris calmement la décision en décembre, il n’aurait eu aucun problème, mais il s’est mis les pieds dans les plats et a essayé de se faire un nom, sans y réussir. Dans l’entretien que j’ai eu avec le général Currie, il me laisse à penser, non par ses paroles mais plus ou moins par ses actes – qu’il comprenait parfaitement cet aspect de la situation.62 Loomis, QGC de la 3e DIC, revenant en trombe de permission dans la nuit du 16 décembre, n’entretenait aucune illusion. Il passa d’abord sa mauvaise humeur sur les commandants de bataillon rassemblés de la 7e DIC, puis fit la revue de chaque unité et parla aux hommes. Son rapport officiel à son supérieur immédiat, l’OGC du 4e Corps britannique, est direct : Les prétendues plaintes exprimées par les hommes étaient dérisoires. Il n’y avait aucune matière à grief. L’affaire reposait sur trois pôles : la discipline, l’instruction et la présence d’officiers et de sous-officiers efficaces. Elle n’était pas nouvelle. Les mesures que je prends ne sont pas exactement celles que je recommanderais si la Division n’était pas sur le point de retourner au pays et si les combats n’étaient pas terminés. Dans une grande mesure, 51 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 se dirigeaient vers l’Allemagne et qu’ils étaient donc destinés à un service prolongé à l’étranger. Enfin, quelques soldats meneurs de file radicaux avaient été contaminés par l’exemple russe et souhaitaient instaurer des Conseils de soldats ayant le pouvoir de négocier avec les commandants. »58 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre j’accorde maintenant le bénéfice du doute à certains officiers dont je recommanderais fortement le renvoi de leur commandement pour cause d’inefficacité, si la Division ne devait pas être démobilisée sous peu.63 On ne peut que se demander si Loomis aurait démis Clark de ses fonctions de même que la plupart des commandants des bataillons (y compris un de son propre régiment). Nous savons qu’au moins un commandant de compagnie du PPCLI a été mis de côté et renvoyé immédiatement chez lui, après la mutinerie, par son cmdt – Gault, qui était revenu en hâte de sa permission avec Loomis. L’irascible capitaine Little a été rayé des cadres le 17 décembre car c’était sa compagnie qui avait refusé de défiler le 15 décembre. On ne saura jamais dans quelle mesure Little a participé personnellement à la « révolte » de Nivelles, mais il est certain que Gault l’a tenu personnellement responsable des actes de sa compagnie et a agi rapidement pour créer un précédent.64 Ainsi, la Grande guerre de la « Septième combative » s’est terminée sur une note amère. Ses soldats expérimentés, y compris quelques-uns « d’origine » et les nouvelles recrues, y compris de nombreux hommes recrutés en vertu de la Loi du Service Militaire (LSM), ont terminé leur service en étant honteusement escortés par des policiers armés jusque chez eux lors de la démobilisation. Immédiatement après l’Armistice, lorsque la discipline était devenue des plus fragiles, on demanda aux officiers de la 7e BIC de prêcher par l’exemple. Les officiers de bataillon, qui avaient toujours vu au bien-être de leurs hommes dans les tranchées, au loin du front ou pendant les opérations, choisirent cependant alors de tourner le dos à leurs hommes. Ils partirent en permission prolongée et donnèrent une importance exagérée à un rituel militaire qui n’avait pas de fondement. En fin de compte, ils souffrirent des conséquences de leur trahison. Un contrôle autoritaire ne pourra jamais remplacer convenablement la dynamique humaine du commandement qui s’appelle le leadership : la « révolte » de Nivelles est un exemple parfait. À propos de l’auteur . . . Le lieutenant-colonel Ian McCulloch Le lieutenant-colonel Ian McCulloch s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1977 et a occupé divers postes dans The Royal Canadian Regiment. Il possède un diplôme spécialisé en journalisme de l’Université Carleton et une maîtrise ès arts en polémologie du Collège militaire royal du Canada. Le lieutenant-colonel McCulloch a servi dans le cadre du programme d’échange au sein du 1st Battalion Royal Regiment of Fusiliers et comme commandant du Black Watch (Royal Highland Regiment) of Canada. Les écrits du lieutenant-colonel McCulloch, passionné par l’histoire militaire, ont été publiés dans bon nombre de revues et d’ouvrages et il a été engagé comme conseiller en histoire par the Arts and Entertainment Channel et la Société Radio-Canada. Il occupe actuellement le poste de Directeur adjoint - Histoire et patrimoine au Quartier général de la Défense nationale. 52 Vol. 3, no. 2, été 2000 NOTES 33 Adamson cité dans Gwyn, Tapestry of War, 424, 428-29; The PPCLI Hist., 283, ajoute qu’un conseil médical a décrété qu’Adamson « était bon pour d’autres services au front. » 2 ANC, RG 41, Transcriptions radiophoniques de « Flanders Fields » [ci-après CBC], « Généraux », J.A. Clark. 34 Williams, First in the Field, 134-35. 3 Currie cité dans 42nd Hist., 282. 35 Ibid., 134-35. 4 42nd Hist., 307-308. 36 Ibid., 135. 37 Ibid., 135-36. 38 PPCLI Hist., 364; CBC, PPCLI, G.R. Stevens. 39 Adamson, lettre datée du 21 juin 1918. 40 Kilpatrick, Odds & Ends, 18. 41 Ibid. 5 E. L. M. Burns, General Mud: Memoirs of Two World Wars, (Toronto, 1970) 6 G.W.L. Nicholson, Official History of the Canadian Army in the First World War: Canadian Expeditionary Force, 1914-19, [ci-après CEF], Ottawa, 1962], 441; E.L.M. Burns, General Mud: Memoirs of Two World Wars, (Toronto, 1970), 64; Canada in the Great War, Vol. VI, 317. 7 B.M. Greene, ed., Who’s Who in Canada, (Toronto, 1920), 946. 8 England, Recollections, 11. 9 CBC, « Généraux », J.A. Clark. 42 PPCLI WD, « Opérations du 27 septembre jusqu’au 1er octobre 1918 inclusivement ». 43 Topp, MS 004, lettre non datée annexée à un extrait du journal de guerre du 42e, septembre 1918. 10 Ibid. 44 42nd Hist., 270, 275. 11 Ibid. 12 42nd WD, 12 septembre 1918. 45 Topp, MS 004, ordres d’opération, « Lessons Learned from Recent Operations » datés du 2 octobre 1918. 13 Ibid. 14 CBC, PPCLI, G.W. Little. 46 Ibid. 47 CBC, PPCLI, G.W. Little. 48 Topp, « Lessons Learned ... », 2 octobre 1918. 15 ANC, MG 30 E 100, Currie Papers, Lettre à D. Oliver datée du 11 août 1918. 49 Dancocks, Spearhead, 148. 16 CEF, 440. 50 CEF, 450. 17 CGS cité dans Dancocks, Spearhead, 123. 51 CBC, PPCLI, G.W. Little. 18 CEF, 443-48. 52 Topp, MS 004, ordres d’opération, 7th CIB Instructions No. BM 100/3. 19 PPCLI Hist., 361. 20 RCR Hist., 353. 21 Ibid., 354. 22 RCR Hist., 355-56. 53 CBC, op.cit.; PPCLI Hist., 371-78. 54 CBC, PPCLI, G.W. Little; PPCLI Hist., 378. 55 49th Hist., 134; 49th WD, 30 septembre 1918. 23 CEF, 448-49; RCR Hist., 354-58. 56 Topp, MS 004, Ordres d’opération, « Lessons Learned ... », 2 octobre 1918. 24 PPCLI Hist., 366-69. 57 Williams, First in the Field, 141-42. 25 49th Hist., 133; 42nd Hist., 268-71. 58 G.R. Stevens, 49th Hist., 146. 26 42nd Hist., 269. 59 Knight cité dans Williams, op.cit., 144. 27 Ibid., 273. 60 42nd Hist., 304-306. 28 Dancocks, Spearhead, 159. 61 Frank Flory, lettre à l’auteur datée du 26 mars 1996. 29 Bird, And We Go On, 195. 62 MUA, UP, entrevue d’Ewing. 30 PPCLI Hist., 380; 49th Hist., 135. 63 Loomis cité dans Williams, op.cit., 145. 31 CBC, PPCLI, G.W. Little; PPCLI Hist., 373-77. 32 RCR Hist., 64 MUA, MG 3054, 1918 Diary of Lt AJ Kelly, officier du renseignement, PPCLI, décembre 1918; Williams, 144; PPCLI Hist., Vol. II, 82.) 342, 359-60, 420, in passim. 53 La crise du leadership : La 7 e brigade et sa « révolte » de Nivelles en 1918 1 G.R. Stevens, A City Goes to War, (Brampton, 1964), 132, [ci-après 49th Hist.]. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre UN SIMPLE PROBLÈME TACTIQUE « L’ANALYSE DE LA MISSION » Tacite B UT SOLUTION Le but du problème tactique est d’obliger le lecteur à se demander comment il résoudrait le dilemme pendant le combat. Le problème est conçu pour les chefs subalternes de tous grades appartenant à n’importe quel GPM. La réflexion tactique n’est pas exclusive aux armes de combat. Le problème est délibérément simple et exempt de détails inutiles. Il s’agit d’un exercice de réflexion et non d’une vérification d’étatmajor. Votre solution peut être formulée comme un ordre verbal : « Le 2e Bon doit …. » ou être présentée sous forme de graphique. Dans les deux cas, elle doit être SUCCINCTE et CLAIRE. De plus, vous DEVEZ expliquer brièvement par écrit les motifs de votre choix tactique. Comme dans le cas de tous les problèmes tactiques, il n’y a pas seulement une « bonne » réponse, mais il est évident que certaines solutions s’approchent davantage de l’idéal souhaité. Diagramme 1 Objectif immédiat Objectif ultime Le premier problème de la nouvelle série est apparemment simple et exige davantage une compréhension de la nouvelle doctrine qu’une connaissance de la tactique. MISE EN SCÈNE Vous commandez la tête d’avant-garde d’une force attaquante. Vos ordres indiquent qu’il ne devrait y avoir aucun ennemi du côté de la rivière où vous vous trouvez. L’intention de votre commandant au deuxième niveau supérieur est de traverser la rivière afin d’obliger l’ennemi à participer à un engagement concluant; il incite donc votre commandant à vous ordonner d’agir rapidement. La vitesse est primordiale. (Diagramme 1) Tandis que vous progressez, une estafette vous transmet l’ordre de vous emparer immédiatement du pont. Vous faites l’aperçu de l’ordre, analysez rapidement la mission et donnez vos propres ordres pendant le mouvement. Vous tombez dans une embuscade près du pont. (Diagramme 2) Bien que vous ayez réussi à vaincre l’ennemi, vous avez perdu près de 70 p. 100 des effectifs de votre unité. Il reste seulement 30 p. 100 de votre effectif initial. Vous ne pouvez communiquer avec votre supérieur. (Diagramme 3) QUE FAITES-VOUS? Diagramme 3 Diagramme 2 Objectif immédiat Objectif ultime Objectif immédiat Tacite ? 54 Objectif ultime Vol. 3, no. 2, été 2000 TRIBUNE LIBRE COMMENTAIRES, OPINIONS ET CONTESTATIONS M. David Rudd, directeur exécutif de l’Institut canadien des études stratégiques, à Toronto, signe l’article suivant : UNE LIGNE DIRECTE VERS LE TIR D’APPUI DIRECT La comparaison qu’établit le capitaine Don Senft entre la performance du char de combat principal (CCP) Leopard et celle du Centaure italien au Kosovo semble appuyer le projet, formé par l’Armée de terre, de recourir à une force moyenne, dotée de véhicules chenillés. Cela soulève inévitablement la question suivante : que faire, d’ici la fin de la décennie, à propos de l’obsolescence du Leopard C2? Peut-on donner à la force blindée les attributs d’une force de chars en sachant qu’il y a peu de chance que le gouvernement fédéral subventionne l’achat d’un CCP, même d’un CCP usagé? Peut-on remplacer le Leopard par un véhicule existant acheté du commerce? Si oui, le nouveau véhicule de combat cadrera-t-il avec des politiques, des stratégies et une doctrine en évolution? Enfin, comment peut-on convaincre le Conseil du Trésor d’approuver un tel achat alors que des gouvernements successifs ont hésité à réinvestir dans les capacités de combat traditionnelles des Forces canadiennes? Je ne tenterai pas de réitérer les difficultés qu’un contexte fiscal serré et une menace ambiguë imposent sur la planification d’une force. Cependant, il est possible d’émettre certaines suppositions stratégiques d’ordre politique. La tradition de volontariat du Canada, ainsi que l’appui généralisé dont bénéficie le nouveau programme de « sécurité humaine », sont garants de notre engagement actif et continu dans la gestion des crises internationales : mais en quoi ces facteurs peuvent-ils contribuer à orienter une politique de défense? Disons simplement qu’ils ont donné naissance au Livre blanc sur la défense de 1994 et, plus récemment, au document Stratégie 2020, dans lesquels on réclame que le Canada déploiera des forces soutenables et aptes au combat vers des points de conflits internationaux, et cela en temps utile. Qu’une mission corresponde au Conflit de profil 1 (opérations de guerre) ou au Conflit de profil 2 (opérations autres que la guerre), on peut aussi faire d’autres suppositions, à savoir, que la mobilité stratégique, la souplesse et la soutenabilité seront de toute première importance. Pour fournir un nombre suffisant de militaires dûment entraînés et équipés, il faudra évaluer comment la technologie peut pallier à une pénurie de personnel. Par ailleurs, l’Armée de terre évoluera dans des théâtres de guerre qui seront fort probablement caractérisés par une infrastructure rudimentaire ou dégradée et qui engloberont des zones rurales et urbaines, d’où l’importance d’une grande mobilité tactique. De plus, comme beaucoup de missions seront de nature discrétionnaire (puisqu’elles n’impliquent pas de menace à la survie de notre pays), le niveau de tolérance pour les pertes de vies humaines sera passablement bas. Ajoutons à cela que les unités mèneront leurs opérations à proximité immédiate des parties en conflit, de sorte qu’elles devront être protégées convenablement contre une variété de menaces éventuelles, allant de forces irrégulières munies de carabines et de camionnettes équipées de mitrailleuses jusqu’à des forces plus disciplinées pourvues d’une variété d’armes de première et deuxième générations. Quoiqu’il serait souhaitable qu’elles aient une puissance de feu supérieure, les forces terrestres devraient au moins avoir une puissance de feu égale à celle des parties en conflit afin de prévenir des écarts (comme dans le cas du Conflit de profil 2) ou d’appuyer l’infanterie tandis qu’elle se dirige vers un objectif (Conflit de profil 1). Je n’ai pas la compétence pour affirmer quelle configuration l’Armée de terre devrait adopter en vue de mener les opérations (plus nombreuses) du Conflit de profil 2 tout en conservant au moins une capacité de combat résiduelle afin de remplir les obligations incombant au Canada en vertu de la Charte des Nations Unies et de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Tenter de savoir comment le corps blindé devrait se recapitaliser ajoute une complication de plus au casse-tête, car la question du tir d’appui direct n’intéresse pas seulement le corps blindé, mais l’Armée de terre en entier. Voilà pourquoi je ressens une certaine appréhension, comme un simple membre du public à l’écoute, à contribuer à la Tribune libre. Je prie les professionnels qui liront cet article d’être patients et j’attire leur attention sur le fait qu’aucun intérêt personnel ne me lie à la solution que je propose. Lorsqu’on examine le contexte fiscal et politique du Canada, ainsi que les objectifs de sa politique étrangère et de sa politique de défense et les exigences des opérations militaires contemporaines, on pourrait fort bien en conclure qu’il y a effectivement lieu de conserver une force de tir d’appui direct de taille moyenne au sein de l’Armée de terre plutôt que de faire la transition vers une cavalerie légère. 55 Tribune libre Commentaire sur l’article du capitaine Don Senft intitulé « Le leopard au Kosovo : véhicule blindé de combat idéal? », Vol. 3, no 1, printemps 2000 Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre L’étude des exigences stratégiques et tactiques (illustrées par la comparaison du capitaine Senft entre véhicules chenillés et à roues) permet de canaliser encore davantage la recherche d’un véhicule de remplacement du Leopard. Ceci dit, je suggère que le candidat qui satisfait le mieux aux exigences précitées est le système de canon blindé M8. Le M8 est essentiellement un char d’assaut léger qui a été conçu à l’origine pour augmenter la puissance de feu des divisions américaines aéroportées et d’assaut aérien de force légère. Jugeant que le programme du M8 était parvenu à maturité, l’Armée de terre américaine a décidé de l’annuler en 1996 et de financer d’autres priorités. Récemment, le véhicule a été offert à l’Interim Brigade Combat Team (IBCT) de l’Armée de terre américaine pour servir de véhicule de tir d’appui direct. Voilà qui est intéressant, mais quels sont les mérites de ce véhicule du point de vue de l’Armée de terre canadienne? Plus précisément, est-ce que ce véhicule combine les forces du Leopard, et celles des VBL III qui les accompagneront dans l’ensemble des situations correspondant aux conflits de profil 1 et 2? Commentaires, opinions et contestations MOBILITÉ Dans sa configuration de base (18 tonnes), le M8 a une mobilité stratégique identique à celle du VBL III. Un avion de transport C-17 peut livrer trois M8, à supposer que ce soit le moyen de transport choisi pour accéder au théâtre d’opérations. Le niveau d’aéromobilité tactique du M8 est lui aussi semblable à celui du VBL III. Le M8 peut non seulement rouler à bord d’un Hercules C-130 et en descendre sans difficulté, mais il peut aussi être largué d’un aéronef. Quant à la mobilité terrestre, le VBL a peutêtre l’avantage de la vitesse (100 km/h vs 70 km/h), mais le M8, grâce à sa forme compacte et au fait qu’il est chenillé, peut circuler dans des rues étroites et effectuer des virages-pivots qui lui permettent de s’extraire de situations desquelles un véhicule à roues s’extirperait difficilement. Le M8 est mobile même par mauvais temps et sur des terrains peu carrossables, ce qui n’est pas le cas du Centaure à roues, comme l’a observé le 56 capitaine Senft. 1 La question de la mobilité n’est pas sans portée pratique. Tandis que nos leaders politiques – et un nombre croissant de groupes de revendication actifs 2 – manifestent leur volonté d’envoyer l’Armée de terre dans des endroits aux systèmes routiers rudimentaires ou inexistants et aux climats variés, cette dernière ne peut pas permettre que sa mobilité soit restreinte par ses propres véhicules. Rappelons aussi la supériorité de manœuvre des véhicules chenillés en présence d’obstacles artificiels et de décombres dans les zones de conflit, ainsi que la résistance de leur train de roulement aux éclats d’obus et aux tireurs d’élite.3 PUISSANCE DE FEU Quoique l’arme principale de 105 mm à basse pression du M8 soit un peu moins puissante que le canon L-7 du Leopard, elle est identique à celle qu’on propose d’installer sur le VBL version VBC (véhicule blindé de combat). L’arme sera efficace contre les chars de première et deuxième générations et, une fois que l’on sera en mesure d’utiliser un missile lancé par le canon, elle sera aussi efficace à longue portée contre le blindage moderne. Les améliorations par rapport au Leopard C2 incluent l’ajout d’un imageur thermique de deuxième génération ainsi que d’un système d’entraînement électrique de tourelle et d’un système de stabilisation du canon plus fiables. Le M8 transporte moins de projectiles de 105mm que le CCP et le VBL III version VBC, mais la cadence de tir de son chargeur automatique est de 12 projectiles à la minute vs 10 projectiles à la minute pour la tourelle à profil bas du VBL III.4 PROTECTION Parce qu’il offre différents niveaux de protection, tous supérieurs à ceux du VBL, le M8 convient mieux à l’exécution d’un ensemble de missions de combat et de missions liées au combat. Il existe deux types de blindage modulaire. Le blindage de niveau 2 offre une protection contre le tir de mitrailleuse lourde et porte le poids nominal brut du véhicule à 21 tonnes. Le blindage de niveau 3, qui porte le poids nominal brut du véhicule à 23 tonnes, offre une protection contre les armes antichar à l’épaule. Comme ces divers niveaux de blindage confèrent au M8 un degré de protection dont ne dispose pas l’équipage d’un VBL III, il est clair que le M8 manœuvrerait mieux en présence de l’ennemi, ce qui permettrait d’alléger le fardeau de l’infanterie. L’excellent rapport puissance-poids du M8 permet de croire qu’il serait facile d’y intégrer les dernières nouveautés en matière de blindage modulaire et d’aides à la défense sans trop perdre de mobilité. En outre, vu sa petite taille et son potentiel de croissance, le M8 présente un niveau de risque opérationnel plus acceptable, ce qui permet de penser qu’il combine le meilleur des deux mondes, c’est-à-dire des véhicules à roues et des véhicules chenillés. SOUPLESSE L’un des avantages intangibles des forces blindées est leur pouvoir de dissuader les parties en conflit de s’attaquer entre elles ou d’entraver la mission de la force d’intervention. De nombreuses preuves anecdotiques suggèrent que la présence de chars en Bosnie et au Kosovo a effectivement eu un effet dissuasif. Il serait donc intéressant de savoir si le M8 chenillé évoque davantage l’allure imposante d’un char de combat principal ou moyen que ne le ferait un VBL version VBC. Étant donné que la majeure partie de l’échelon F sera équipée de VBL d’ici 2003, il y a lieu de se demander si l’utilisation d’un autre véhicule pour le tir d’appui direct risque de susciter des difficultés de taille du point de vue de la logistique. À mon avis, il s’agit d’une question purement spéculative puisque le VBL version VBC ne semble pas soulever d’enthousiasme. Le projet de recherche opérationnelle Quarré de Fer5 a en effet dévoilé les lacunes du véhicule en ce qui concerne la protection de l’équipage. Le VBL IV, qui en est encore au stade théorique, pourrait pallier ce défaut, mais, avec un poids nominal brut de 22 à 24 tonnes, il ne pourrait pas rouler à bord et descendre d’un C-130 comme le peut un M8.6 Le capitaine Senft a évoqué le fait qu’il est possible d’installer sur un Leopard Vol. 3, no. 2, été 2000 Il faut reconnaître que la taille de l’équipage peut être un facteur d’hésitation dans le choix du M8. Avec seulement trois membres d’équipage, ce n’est peut-être pas le véhicule idéal pour établir des points de contrôle des véhicules. De plus, vu la complexité des chars modernes, on estime qu’il faut au moins quatre personnes pour assurer la maintenance de base en campagne. Ces facteurs doivent être évalués par rapport à l’avantage qu’il y aurait à remplacer du personnel (coûteux) par des technologies (relativement peu coûteuses). Compte tenu de la durée de vie du véhicule, il est fort probable qu’on économiserait en remplaçant le quatrième membre de l’équipage par un chargeur automatique. En réduisant les besoins en personnel, on s’assurerait que les régiments blindés n’auraient pas de difficulté à conserver leur effectif au niveau autorisé. De plus, le personnel libéré des tâches de chargement pourrait combler des postes vacants au sein de l’infanterie ou des unités de reconnaissance.8 CONCLUSION Je ne cherche pas à raviver le sempiternel débat « véhicules à roues vs véhicules chenillés. » Je cherche plutôt à savoir s’il est possible de concilier la projection stratégique, les objectifs (et les contraintes) des politiques, l’expérience opérationnelle et les options en matière d’équipement. La politique actuelle étant d’organiser, de maintenir et de déployer des forces moyennes alliant une bonne capacité stratégique et tactique, une protection efficace des troupes et une puissance de feu convenable, tout cela sans imputer des frais excessifs au budget de la Défense, l’Armée de terre canadienne pourrait faire bien pire que de choisir le M8 pour son nouveau VBC. Le M8 combine beaucoup des caractéristiques du Leopard C2 et du VBL version VBC, tout en étant supérieur aux deux véhicules à divers points de vue importants. En tant que « char léger », le M8 n’a rien du bagage politique négatif que les responsables des politiques associent au CCP.9 Le fait que le M8 convienne bien aux missions de type de Conflit de profil 2, qui sont plus nombreuses et davantage axées sur la sécurité humaine, peut même atténuer les critiques selon lesquelles l’Armée de terre accorde toujours la priorité aux opérations de combat; cela pourrait même faciliter l’achat des M8. à la plupart des besoins du corps blindé identifiés par le capitaine Senft. Il pourrait aussi représenter une amélioration par rapport au projet de VBL version VBC qu’on a évalué dans le Quarré de Fer. L’Armée de terre américaine pourrait choisir le VBL III comme véhicule de référence de l’Interim Brigade Combat Team en échange de l’achat du M8 par le Canada. Si on commençait à produire des M8 pour les Forces américaines, le Canada pourrait passer sa commande en même temps, ce qui aurait deux avantages immédiats : d’une part, le Canada pourrait profiter des économies d’échelle associées aux commandes importantes et, d’autre part, l’interopérabilité entre le Canada et son plus important allié serait renforcée, ce qui correspondrait à un autre objectif de la Stratégie 2020. Il n’y a pas de doute que l’on doit étudier cette option à fond et en évaluer les coûts avant de décider de la place du corps blindé dans l’Armée de l’avenir10 . Le M8 constitue un véhicule de remplacement techniquement « mûr » et disponible dans le commerce, qui satisfait NOTES 1 Je reconnais que l’impossibilité de réduire la pression au sol du Centaure au moyen d’un système de gonflement central des pneus – chose qu’on peut faire avec un VBL version VBC – a peut-être été un facteur dans cette situation. 2 Même ceux qui s’opposent à l’engagement traditionnel du Canada dans les combats – tel l’ancien ambassadeur (ONU) Steven Lewis, appuient les interventions humanitaires « soutenues par la puissance de feu des pays de l’Ouest ». 3 Les TTB à roues espagnols, utilisés par la FORPRONU en Bosnie, ont été maintes fois la cible de tireurs d’élite, qui ont perforé 80 pneus en l’espace de 72 heures. Au Panama, en 1989, on a eu des problèmes semblables avec les véhicules à roues américains, l’ajout de pneus anti-balles ne représentant qu’une solution partielle. Voir la rubrique des lettres au rédacteur de la Revue internationale de défense, dans le numéro de mars 1993, p. 238. 4 Janes’ Armour and Artillery 1999-2000. 5 P.R.S. Bender et al, Quarré de Fer — Analysis of the ACV in Warfighting Tasks. Ottawa : Division de la recherche opérationnelle, MDN, 1998. 6 Revue internationale de défense, avril 2000, p. 29. 7 Dans des tests menés aux Etats-Unis, le véhicule de dépannage et d’entretien Bison a récupéré un véhicule blindé de dépannage M88 de 60 tonnes. Voir Martin Shadwick, « Upgrade Update », Revue canadienne de défense, vol. 27, no 2, p. 30. 8 Rappelons que la transition du Lynx au Coyote a entraîné une augmentation des besoins en main-d’œuvre pour les véhicules de reconnaissance. Pour une revue des pénuries de maind’œuvre au sein des unités de l’infanterie, voir l’article « Malédiction du millénaire » du capt R. J. Fowler, dans Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre, vol 3, no 1, p. 89. 9 Je pense aux notes de service s’opposant à l’acquisition de chars, diffusées par le bureau du premier ministre Trudeau. Voir Gerald Porter, In Retreat: The Canadian Forces In the Trudeau Years. Toronto: Deneau & Greenberg, 1979, pp. 155-156. 10 Le fabricant, United Defense LP, affirme que les coûts de carburant et de maintenance pour le M8 sont, respectivement, de 0,65 $ US/km et 35 $ US/km. Voir Janes Armour and Artillery 1999-2000, p. 164. 57 Tribune libre une charrue de déminage ou un rouleau de déminage : en remisant le Leopard C2, l’Armée de terre pourrait perdre sa capacité de participer à des opérations de combat anti-mines. Cela n’a rien de renversant puisque, selon la vision d’avenir de l’Armée de terre, les forces terrestres conserveraient leur capacité de combattre sans toutefois être appelées à le faire en toutes circonstances. Il serait certes possible d’envisager d’autres réponses au défi mobilité/contre-mobilité. Entre-temps, on pourrait rationaliser encore davantage le parc de véhicules. Puisque le M8 peut être récupéré par le véhicule de dépannage et d’entretien Bison 7 , les responsables de la planification pourraient envisager de réformer le véhicule blindé de dépannage Taurus. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre Commentaire sur « Les blindés à la croisée des chemins » du lieutenant-colonel C.M. Fletcher, Vol. 3, n° 1, printemps 2000 Le capitaine Paul Gillies, J3 Coord 2 au quartier général du groupe des opérations interarmées de Kingston, écrit… Commentaires, opinions et contestations J ’aimerais tout d’abord dire à quel point je suis d’accord avec les commentaires du lieutenant-colonel Fletcher selon lesquels le véhicule blindé de combat (VBC) ne convient pas aux besoins de l’Armée canadienne. Ayant également lu l’article du capitaine Don Senft 1 sur l’utilisation des Leopard au Kosovo dans la même édition du Bulletin, la valeur d’un char par rapport à celle d’un véhicule blindé me semble évidente d’emblée. Au cours des opérations de soutien de la paix, la souplesse et le pouvoir d’intimidation d’un char compensent largement toute perte de mobilité opérationnelle que son emploi suppose par rapport à l’utilisation d’un véhicule blindé. Dans un conflit de moyenne à haute intensité, la protection blindée accrue et la mobilité tactique (sans compter l’avantage de la puissance de feu si nous achetions un véhicule doté d’un canon de 120 mm) qu’un char offre sont vitales au succès et à la survie de notre équipe interarmes. Nulle part dans notre doctrine il est question de faire l’acquisition ou l’utilisation d’un véhicule blindé. Sa venue sur la scène à ce moment ne peut s’expliquer que par une connivence militaro-politico-industrielle en vue de maintenir les lignes de production même aux dépens de la doctrine et du potentiel. Minimiser l’assujettissement à la maintenance du Corps blindé et maximiser la banalisation du matériel devrait être un objectif constant. Enfin le souhait du lieutenant-colonel Fletcher de voir une plus grande intégration des Réserves au sein du Corps blindé de la Force totale est également louable. Les unités de la Réserve constituent un bassin disponible de jeunes soldats et officiers qui peuvent venir grossir les rangs des unités de la Régulière en vue de déploiements opérationnels. Mais c’est là que s’arrête notre convergence d’opinion. À mon avis, 58 c’est plus par accident que par volonté que le Corps blindé est devenu une structure appropriée et viable au sein de ses régiments de la Force régulière. Il semblerait que notre gouvernement va continuer de faire participer les militaires canadiens aux opérations de soutien de la paix partout dans le monde. La majorité de ces missions s’approchent davantage du maintien de la paix que de l’imposition de la paix et vont continuer de nécessiter un véhicule de surveillance comme le Coyote plutôt qu’un char. Chaque groupe-brigade étant appelé à faire deux rotations consécutives, le régiment blindé de chacune de ces brigades devrait se composer d’au moins deux escadrons de Coyote (de préférence les deux étant équipés du matériel de surveillance). Pour ce qui est de leur structure interne, l’article du lieutenant Chris Hunt 2 , toujours dans le même numéro du Bulletin, s’intéresse à la question et soutient que les troupes de reco de cinq véhicules sont trop petites. Mais plutôt que d’ajouter deux véhicules de surveillance plus dispendieux, la solution consiste peut-être à ajouter deux véhicules de reconnaissance moins dispendieux du genre véhicules utilitaires légers avec suffisamment de personnel pour exécuter des opérations débarquées limitées. Mais dans certaines situations il faudra des blindés plus lourds compte tenu de leur caractère intimidant et compte tenu des combats envisagés. Là ce sont des chars qu’il nous faut. Mais de combien de chars l’Armée du Canada a-t-elle besoin? Selon l’Opération SABRE, l’Armée doit être prête à fournir un groupe-brigade mécanisé incluant un régiment de chars de quatre escadrons. À l’heure actuelle, trois de ces escadrons existent et les effectifs et l’équipement répartis dans l’ensemble du Corps blindé nous permettraient de constituer le quatrième escadron. Mais nous n’aurions plus aucun char et aucun équipage disponibles. Ce régiment ponctuel aurait 90 jours pour atteindre le niveau d’entraînement souhaité. Compte tenu qu’il sera formé de quatre escadrons venant de quatre entités différentes, cette période de temps ne semble pas très longue. Heureusement les trois bataillons d’infanterie constituant la brigade viendront probablement aussi de différents éléments de l’Armée, ce qui permettrait ainsi le maintien des affiliations évitant le long processus d’intégration de l’infanterie et des blindés à partir de zéro. Il faudra faire certaines concessions si l’on veut déployer tout un régiment de chars, mais il faudra également être conscient que c’est la situation la moins probable. Un scénario plus probable serait l’intégration au plus tôt d’un escadron de chars à un groupement tactique d’infanterie pour rétablir/imposer la paix à la Kosovo. Dans la majorité des cas, ce besoin ne dépassera pas la première période d’affectation de six mois et comme la probabilité des hostilités diminue, cet escadron peut être progressivement réduit à un demi-escadron et même à une troupe, les deux étant faciles à soutenir à long terme. Les déploiements de plus longue durée d’escadrons entiers pourraient nécessiter un nouvel entraînement et une restructuration des escadrons comme le conseillait le lieutenant-colonel Fletcher. Parlant d’entraînement, le prédéploiement de l’équivalent de deux escadrons de chars dans l’Ouest pour permettre à ce groupement tactique blindé occasionnel de se former et de s’exercer pourrait être un pas dans la bonne direction. Que devient alors le rôle des unités blindées de Réserve? Le temps de la mobilisation totale est révolu. Ce que la Milice doit fournir à l’Armée ce sont des renforts et des remplaçants individuels pouvant atteindre l’effectif d’un peloton. Pour le Corps blindé, cela signifie l’emploi continu de réservistes Vol. 3, no. 2, été 2000 disponibles pour compléter les unités de la Régulière et acquérir davantage d’expérience. Les qualifications resteraient les mêmes que celles dans la Force régulière et tous les officiers devraient faire les cours de chef de troupe de Coyote ou de chars dans la Phase IV, peut-être en segments répartis sur une période de temps plus longue. Bien que ces rôles soient moins prestigieux que les rôles actuels, ils créeraient un lien plus étroit entre les unités de la Régulière et celles de la Réserve et permettraient à cette dernière de se concentrer sur le développement de cadres entraînés et la Régulière pour sa part veillerait à maintenir la structure essentielle à cet entraînement. En conclusion, je suis d’accord avec le lieutenant-colonel Fletcher lorsqu’il soutient que le Coyote et le char sont la voie de l’avenir pour le Corps blindé canadien. Mais de son côté il voit le char comme le point central, pour ma part je crois que l’option la plus faisable financièrement et politiquement est d’adopter le Coyote appuyé par des chars au besoin. Ainsi les régiments blindés constitués de deux escadrons de Coyote et d’un escadron de chars sont pleinement suffisants compte tenu Commentaire sur « La doctrine et l’Armée de terre canadienne : la séduction exercée par le dogme étranger : essayons d’affronter notre réalité » par le lieutenant-colonel R.J. Jarymowycz, Vol. 2, n° 3, août 1999. Le lieutenant-colonel Paul Philcox du Conseil de liaison des Forces canadiennes écrit : J ’ai beaucoup aimé l’article du lieutenant-colonel Jarymowycz dans Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre et je suis assez d’accord avec qu’il écrit. Malheureusement, je crois que son article dépasse le niveau de compréhension de 90 % des officiers de l’Armée d’aujourd’hui (bien que ce ne soit pas de leur faute) et les 10 % capables de comprendre ses idées les rejetteront probablement sous prétexte qu’elles sont désagréables. Maintenant que j’ai laissé sortir la vapeur, voici mon point de vue sur la théorie du lieutenant-colonel Jarymowycz. Je me souviens qu’au début des années 80, pendant que je suivais un cours de chef d’escadron à Gagetown, j’étais sur le pont attendant la prochaine ronde et je m’assoyais dans la tourelle de mon char pendant que l’équipe de combat était déployée de part et d’autre de la route Lawfield, faisant face au sud. J’attendais les ordres et je repassais des rôles actuels et futurs de l’Armée. De plus, je crois que le Cougar devrait être retiré de la Force de réserve le plus rapidement possible et je préférerais que l’entraînement de la Réserve soit centré plus directement sur la production de renforts bien entraînés pour compléter les effectifs réduits des unités de la Régulière. Ainsi, les deux composantes auraient des objectifs réalisables et soutenables qui nous rapprocheraient au lieu de nous éloigner davantage. NOTES 1 Capitaine Don Senft, «Le Leopard au Kosovo – Véhicule blindé de combat idéal?», Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre, Vol. 3, N° 1, printemps 2000. 2 Lieutenant Chris Hunt, «Observations et leçons tirées des activités de l’escadron de reconnaissance du Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) au Kosovo, Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre, Vol. 3, N° 1, printemps 2000. dans ma tête les différents scénarios que l’instructeur pourrait me présenter et tous évidemment étaient centrés sur une avance vers le sud. Lorsque les ordres radio ont enfin été transmis, j’ai été informé que le pont Otnabog sur la route Lawfield, à environ 10 km au nord de ma position, avait été capturé par des forces aéroportées et j’avais pour ordre de le reprendre immédiatement. J’ai fait une rapide appréciation de combat, j’ai élaboré mon plan et transmis mes ordres radio. En l’espace de 29 minutes, l’équipe de combat avait pivoté de 180° et avait exécuté une manœuvre sur le flanc droit et nous avions repris le pont. Les instructeurs étaient assez impressionnés, mais ils m’ont critiqué parce que je n’avais pas eu l’audace de monter la route pour lancer une attaque frontale et en terminer. 59 Tribune libre dans les déploiements opérationnels pour compléter les unités et sous-unités de la Régulière en sous-dotation d’effectifs. Le seul problème a trait au rôle qu’on doit leur assigner. Leur distribuer le Cougar, même de façon provisoire, n’est certainement pas la voie à suivre pour toutes les raisons invoquées dans l’article du lieutenant-colonel Fletcher. Par contre, le Coyote (même dans sa version véhicule de tir d’appui direct (VTAD)) et le char Leopard sont des systèmes très compliqués et d’entraîner les réservistes à pouvoir les faire fonctionner et les entretenir adéquatement serait probablement trop demander. Mais on pourrait employer les réservistes pour doter la patrouille de reconnaissance rattachée à chaque troupe de Coyote, comme mentionné cidessus. De plus, les réservistes pourraient être entraînés à remplir des rôles particuliers (tireur, conducteur, observateur ou homme d’équipage d’échelon) avec le soutien de simulateurs installés dans les manèges et donc facilement accessibles. Des exercices seraient au calendrier à l’approche de la tenue des concentrations (relâche du printemps et fin de l’été) de sorte qu’ils seraient Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre C’est une histoire un peu longue, mais c’est mon meilleur exemple d’une manœuvre tactique. Cet exemple est sans contredit particulier puisqu’il a permis une attaque de flanc. Le lieutenant-colonel Jarymowycz et moi sommes d’avis que quiconque a servi au sein du 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada saurait certainement qu’il était impossible de faire une manœuvre tactique comme celle-là contre la limite avant de la zone de bataille du Pacte de Varsovie et de s’en tirer. Ainsi il a raison de dire que toutes les attaques sont frontales d’une façon ou d’une autre, et c’est certainement vrai aux plus hauts niveaux. Mon concept de la manœuvre opérationnelle est probablement issu de la doctrine du combat aéroterrestre 2000. Au niveau divisionnaire, une ou deux brigades tiennent un objectif tandis qu’une ou deux s’enfoncent plus en profondeur. Pourquoi s’épuiser à combattre les coriaces sur le front ennemi tandis qu’on peut aller par l’arrière et couper ses lignes d’approvisionnement et de commandement et contrôle. Le seul problème est d’y parvenir. J’aime la théorie; elle a du sens à mon avis, mais il est très difficile de se retirer. (Le secret évidemment est une reconnaissance agressive). Le lieutenant-général Franks (commandant du US Corps dans la Guerre du Golfe) a eu l’occasion rêvée en Irak de prouver que cela fonctionne, mais il a lui aussi préféré ne pas prendre de risque, pour on ne sait trop quelles raisons. Et maintenant, nous ne saurons jamais de quoi cela aurait eu l’air dans la vraie vie. Notre problème au Canada est que nous n’avons plus d’armée fonctionnelle. Nous aurons peut-être la chance d’avoir un exercice de brigade une fois tous les dix ans. Il ne reste plus d’officiers qui se souviennent de l’entraînement en Allemagne et de ce que c’était de travailler avec de vraies armées. Nos officiers n’ont pas d’idée de ce que requièrent des corps ou des divisions en terme de temps, d’espace ou de surface occupée. On pourrait dire qu’on est à la maternelle militaire. Donc, si nous ne pouvons nous exercer, il faut apprendre l’histoire comme le dit le lieutenant-colonel Jarymowycz et tirer des leçons de ce que nous avons fait au cours des deux guerres mondiales. C’est très facile d’adopter la doctrine à la saveur du mois d’une armée étrangère éblouissante, mais cela ne veut pas dire qu’elle fonctionnera ici. Commentaires, opinions et contestations Le capitaine Raymond Farrell, stagiaire du Programme d’état-major technique de la Force terrestre (2000/2001) écrit : erci au lieutenant-colonel Oliviero (ret) pour ses commentaires dans «Il nous faut combattre un ennemi plus intelligent». Nous devrions effectivement doter les commandants de notre force ennemie d’une doctrine plus redoutable et la doctrine canadienne actuelle est probablement le meilleur choix. Non seulement nous la comprenons tous, 60 Toute idée, surtout dans le domaine de la doctrine, qui est portée à son extrême, est vouée à l’échec. Les partisans de la guerre d’usure l’ont prouvé lors de la Première Guerre mondiale et je crois que les tenants israéliens de la manoeuvre l’ont aussi prouvé en 1973 dans la guerre israélo-arabe. L’équipe toutes armes qui travaille ensemble sortira toujours victorieuse si sa doctrine est basée sur la mobilité, la flexibilité, l’action de choc et la puissance de feu. C’est aussi simple que cela. Je ne crois pas que nous aurons l’occasion de voir le Canada seul ou en tant que membre de la coalition Commentaire sur « Il nous faut combattre un ennemi plus intelligent » du lieutenant-colonel Chuck Oliviero (ret), Vol. 3, n° 1, printemps 2000. M occidentale mettre l’une ou l’autre de ces théories en pratique au cours de la prochaine génération (30 ans ou quelque). Je crois également que d’ici là, la Révolution dans les affaires militaires aura rendu le char et de nombreux autres systèmes d’armes désuets. Est-ce que cela signifie que la doctrine change? Par étapes seulement. Comme le dit le lieutenant-colonel Jarymowycz « la manoeuvre est un état d’esprit ». Le principe de base est de débusquer l’ennemi, le fixer et le détruire. Pour y parvenir vous devez être mobile — et comme le dit le cow-boy tricheur professionnel aux cartes, « il faut savoir quand arrêter, quand montrer sa main et quand se retirer ». mais c’est aussi probablement une très bonne doctrine. Je dis probablement, car nous ne l’avons jamais véritablement mise à l’épreuve ou peaufinée. Mais si nous laissons les « méchants » s’en servir contre nous, nous devrions pouvoir doubler notre courbe d’apprentissage. Je suis également enthousiasmé par les commentaires du lieutenant-colonel Oliviero (ret) concernant la valeur des adversaires impitoyables et l’importance de l’apprentissage fait à partir des erreurs. Des échecs au tennis, une vérité de la Palisse est que la meilleure façon d’assimiler des habiletés compétitives est de jouer contre un adversaire juste un peu meilleur que soi. Pourquoi donc, dans tous nos exercices, les Canadiens gagnent-ils toujours? Depuis une quinzaine d’années au sein de l’Armée de terre, je n’ai pas encore vu un exercice au cours duquel la force bleue (amie) perd. Les exercices à libre action force contre force permettent en théorie une telle défaite, mais la majorité de nos exercices d’entraînement en Vol. 3, no. 2, été 2000 Est-ce que cela est profitable? Il a déjà été dit que nul ne devrait avoir à affronter au combat une situation jamais vue en entraînement. Or, la défaite est la pire chose qu’une force peut avoir à affronter, alors confrontons cette réalité à l’entraînement. Un commandant qui peut garder son sang froid lorsque les unités s’effondrent, les plans échouent et les subordonnés paniquent peut affronter toutes les situations. En ne perdant jamais, nous théorisons sur les faiblesses de notre doctrine et de nos tactiques et nous privons nos commandants de la possibilité d’apprendre de la défaite. À mon avis nous devons commencer à élaborer davantage d’exercices où les forces rouges gagnent — idéalement, au moins la moitié du temps. Les exercices à vraie liberté d’action sont la meilleure façon d’y parvenir, car il y a inévitablement un vrai gagnant et un vrai perdant. Même les exercices scénarisés auraient avantage à prévoir la défaite des forces bleues à l’occasion. Toutefois je suis encouragé par le climat d’autocritique qui a cours depuis un certain temps et par l’utilisation grandissante des exercices assistés par ordinateurs et de l’équipement de type MILES — les deux étant davantage conçus de manière à Commentaire de l’infanterie. Le major John Spence, de la Direction de l’instruction de l’Armée de terre, ecrit : J ’ai récemment été pris au dépourvu lorsqu’un ami m’a demandé de quelle étoffe sont faits les gens dont l’infanterie a besoin. Avant même que j’aie pu ouvrir la bouche, quelqu’un avait répondu à ma place, affirmant que tout le monde sait bien que le fantassin est un « abominable homme de TERRE, un tarlan que même l’État renonce à recruter dans ses établissements ». Je veux bien admettre que les fantassins n’ont parfois rien de séduisant. Quoi qu’il en soit, j’ai lu ces derniers temps beaucoup de documents sur la transformation du champ de bataille et sur la haute technicité de l’équipement dont on armera le soldat de l’avenir, et je m’inquiète de la perception selon laquelle le fantassin est relégué tout au bas de l’échelle technologique et pédagogique. Je me suis dit que si les projections concernant notre futur milieu de travail se concrétisent, j’avais intérêt à prendre un moment pour réfléchir aux qualités que je devrais dorénavant rechercher chez une recrue. Je me suis d’abord penché sur l’instrument de travail dont nous dotons le fantassin : un engin d’aciers et de polycarbone de la plus haute qualité que l’homme puisse produire, usinés de sorte à atteindre une tolérance mesurable en microns, à l’intérieur duquel se produit, dans des conditions déterminées, une réaction chimique de précision se traduisant par une force immense. Sous l’action de phénomènes physiques, les gaz se dilatent et propulsent un minuscule projectile à une vitesse de milliers de mètres la seconde qu’il faut guider sur des centaines de mètres pour frapper un objectif qui tente de son mieux de se défiler. faire payer la force pour ses erreurs. Quoi qu’il en soit, tant et aussi longtemps que les exercices seront conçus de manière à assurer la victoire des forces bleues, nous ne tirerons jamais pleinement profit de nos outils à la fine pointe de la technologie ou de notre entraînement. L’histoire est remplie d’armées victorieuses qui se sont reconstruites à la suite de défaites. Par contre, l’orgueil démesuré et la complaisance en ont desservi plus d’un. Faire face périodiquement à la défaite au cours de l’entraînement réduira le risque que nos soldats y soient confrontés au combat. En outre, les victoires chèrement gagnées n’en sont que plus savoureuses. Et même si nous confions le transport de cet instrument sur le champ de bataille à un porteur quelque peu fragile, ce dernier est tout de même équipé du dispositif de calcul le plus perfectionné qui soit : le cerveau humain (nous n’avons qu’à nous assurer qu’il s’agit de la version améliorée). Nous catapultons ensuite ce porteur et son instrument en milieu naturel inhospitalier et lui assénons des coups parmi les plus déloyaux et les plus cruels que l’homme puisse imaginer. Puis nous n’exigeons rien de moins que la résolution des problèmes posés, de manière intelligente et courageuse assortie d’intégrité et de chaleur humaine. (L’échec n’a pas sa place dans ce domaine.) Non, non, je n’oublie pas les autres tâches que nous déléguons à notre homme; elles sont bien trop nombreuses pour m’échapper. Mentionnons à titre d’exemple les situations où le véhicule est en panne, le stock d’obus de grandes 61 Tribune libre campagne et de nos exercices assistés par ordinateur ne sont pas des exercices à libre action. Évidemment aucun exercice scénarisé ne se termine par la défaite des forces bleues, bien que de nombreux commandants aient eu à affronter cette situation dans la réalité. Même lorsque nos exercices sont à libre action (du moins en théorie), nous laissons rarement entière liberté aux forces rouges (ennemies) et nous reconstituons habituellement les forces bleues après un retrait. D’une façon ou d’une autre nous finissons toujours par gagner. Le Bulletin de doctrine et d’instruction de l’Armée de terre dimensions est épuisé, l’équipement de télécommunication est bousillé… Le réflexe universel consiste alors à se tourner vers le soldat qui, armé de son fusil, baïonnette au canon, défend le terrain. Ce soldat représente, pour reprendre des termes administratifs, la compétence fondamentale de l’Armée de terre. Bref, les futures recrues ne seront pas nécessairement des as de la technologie, mais elles devront être aptes à allier une compréhension des sciences dures comme le génie mécanique, la chimie et la physique à l’application des sciences sociales et des sciences humaines. Comme aucun établissement de formation ne dispense un cours qui réunisse toutes les qualifications que nous recherchons chez nos recrues, l’Armée de terre doit voir à encourager et à aider le soldat à atteindre le niveau de rendement voulu. À la recherche de vos commentaires, nos lecteurs expriment leur opinion : Le capitaine J.L. Binns du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry écrit : RESTRUCTURATION DE LA RÉSERVE — UNE ANALYSE SUR LE TERRAIN Commentaires, opinions et contestations T andis que la restructuration de l’Armée de terre fait son chemin, il pourrait être utile de se demander comment on pourrait faire une rationalisation de la Milice «avec des dents » qui aurait pour effet d’augmenter l’efficacité au combat dans l’Armée de terre plutôt que de la faire diminuer comme ce fut le cas avec toutes les autres réorganisations depuis la Guerre de Corée. Le but d’une réorganisation devrait être d’accroître la puissance de combat de l’Armée de terre. Après une appréciation sans parti pris à l’égard des régiments et des corps d’armée, la Régulière pourrait ressembler à quelque chose de très différent de sa forme actuelle. Il y a beaucoup de problèmes majeurs à régler : dans quelle mesure peut-on raisonnablement envisager la mobilisation? Quelle place donnerat-on au parachutage massif? Quels seront les équipages du VBL III? Quel sera le rôle de l’infanterie légère? Quel char va remplacer le Leopard? Quels seront le rôle et la nature de l’aviation dans l’Armée de terre? 62 Indépendamment de l’éventuelle structure de la Régulière, le mieux serait que la Milice se réorganise en unités d’environ 800 militaires de tous grades avec la bonne structure de grades. Ces unités doivent être capables d’envoyer en campagne des sous-unités formées, avec un préavis raisonnable, pour des opérations prévues ou pour le déploiement de l’unité au complet en cas d’urgence nationale. Cette structure compléterait la Régulière tout en favorisant le développement du leadership chez les militaires de grades supérieurs et la cohésion de l’unité. Il est vital pour la défense du pays à long terme de maintenir au moins le nombre actuel de soldats de la Réserve des armes de combat. Au sein de l’OTAN, nos alliés éprouvent de la difficulté à recruter des fantassins. Les Britanniques et les Américains ont eu recours aux primes pour attirer des recrues. L’Armée canadienne n’a pas présentement les moyens d’offrir une rémunération P.S. : On m’a demandé en quoi tout ce qui précède s’applique aux forces de réserve. Je crois que celles-ci devraient être perçues comme le lieu où se développent de façon stratégique les habiletés, traits et connaissances susmentionnés, faute de quoi l’Armée de terre commencera à se fissurer dangereusement sur tous les fronts. particulière qui permettrait de recruter en grand nombre des soldats hautement motivés et ayant une bonne instruction pour utiliser des armes de haute technologie. En outre, l’infanterie va probablement perdre bientôt le parachutage massif comme attrait et le bassin de nouveaux fantassins de la Régulière va continuer de diminuer. La Milice continuera d’être la principale source de soldats des armes de combat à haut niveau d’instruction. L’élément de coût le plus élevé pour le fonctionnement d’une unité de la Réserve est celui du personnel de soutien de la force régulière (PSFR). Toute réorganisation visant à couper de façon sensible dans les coûts de la Réserve doit réduire la taille du PSFR. Un plan de restructuration qui taillerait au couteau dans les budgets de catégorie A des unités ne permettrait pas d’épargner ce que coûtera la restructuration. Nous allons gaspiller de l’argent. Les vraies épargnes peuvent se faire dans la réduction des quartiers généraux de brigade, du personnel du Centre de soutien de l’entraînement de la Milice et du PSFR. La grande majorité du personnel à temps plein devrait être composé de réservistes. L’épargne qu’on peut espérer en remplaçant des soldats de la Régulière par des réservistes s’établit au moins à 15 % avant le Vol. 3, no. 2, été 2000 Je crois qu’il faut considérer en même temps la restructuration de l’infanterie et celle des blindés, étant donné que le besoin prévisible de l’infanterie se trouve uniquement dans le rôle mécanisé. La venue du VBL III permet de croire que probablement toutes les unités de la Régulière seront mécanisées et que le Corps blindé ne recevra vraisemblablement pas de nouveaux chars de combat principaux. À cause de son coût, il est peu probable qu’on distribue le Coyote à la Réserve. L’infanterie légère d’une Force de réserve spécialisée, par exemple un groupe-bataillon de parachutistes, n’est pas « vendable » malgré l’utilité d’une telle capacité. La Régulière n’acceptera pas qu’on puisse être parachutiste dans la Milice, mais pas dans la Force régulière — même chose pour les forces spéciales, les opérations en haute montagne, la recherche et le sauvetage de combat ou les patrouilles à long rayon d’action. Selon sa nouvelle structure, la Milice devrait être constituée de quatre brigades, soit une dans chaque secteur de la Force terrestre. Les éléments de manœuvre de chaque brigade comprendraient deux ou trois groupements tactiques mécanisés, un escadron de reconnaissance (reco) et un escadron d’appui-feu direct. Les escadrons d’appui-feu direct seraient idéalement équipés à l’avenir d’un véhicule blindé lourd, tel le Rooikat. L’échelon F de chaque groupement tactique serait constitué d’une infanterie mécanisée, de pelotons d’infanterie de soutien au combat, de sapeurs de soutien rapproché, d’une troupe de reco blindée et d’un escadron de TTB. Certains régiments blindés deviendraient des escadrons de TTB équipés de suffisamment de Bison pour transporter deux compagnies de carabiniers et le poste de commandement du groupement tactique. Les unités de sapeurs actuelles seraient regroupées pour former un escadron intégré de soutien rapproché pour chaque groupement tactique. Des pelotons de mortiers, des pionniers d’assaut et des pelotons de reco d’infanterie spécialisés dans les patrouilles de reco à long rayon d’action et le tir isolé feraient également partie intégrante du groupement tactique. Comme c’est la coutume dans les groupements tactiques d’une Force de stabilisation, chacun garderait son insigne de coiffure. Le nombre total de véhicules pour cette proposition est de 367 Bison (divers modèles) et 183 véhicules de reco/ d’appui-feu direct. Une génération de commandants de la Milice aurait tôt fait d’acquérir l’expérience de la conduite d’équipes interarmes. Formées en groupements tactiques permanents commandés par un lieutenant-colonel, ces unités pourraient avoir pour tâche de fournir des troupes d’assaut ou des compagnies de carabiniers pour des opérations au besoin. comprendrait la Phase 4. On devrait créer un cours à l’intention des capitaines et majors avec ancienneté, conçus pour « instruire les instructeurs », dans le but de développer des normes plus élevées pour les exercices tactiques sans troupes, les exercices de poste de commandement, le tir en campagne, les exercices sur Janus et sur maquette de terrain. Il faudrait que des places disponibles et des fonds de l’Armée de terre soient réservés pour l’instruction de spécialistes de niveau avancé au Centre d’instruction au combat pour les officiers, les adjudants et les s/off. La restructuration de la Milice peut se faire avec moins de friction qu’il y en a eu jusqu’à maintenant, s’il est clair que l’objectif est d’accroître la puissance de combat de l’Armée de terre, d’augmenter la participation de la Réserve aux opérations et d’offrir aux soldats de la Milice de meilleures possibilités d’instruction. Ces améliorations dans l’instruction individuelle et l’équipement doivent se manifester avant la réorganisation pour montrer que l’Armée de terre a vraiment l’intention d’accroître sa puissance de combat. Si la restructuration ne vise qu’à épargner de l’argent à court terme en coupant dans l’instruction et en transformant les unités de combat en petits groupes d’employés des services de soutien, alors il y a peu de chances d’obtenir la collaboration volontaire de la Milice. Le programme d’instruction des officiers serait élargi pour inclure un cours de commandant d’équipe de combat à l’intention des officiers de l’infanterie, du génie et des blindés. Le Programme d’intégration à la Réserve pour les officiers d’infanterie Tribune libre calcul des coûts d’affectation et de pension. En outre, on pourrait aussi épargner les sommes normalement payées aux titulaires en service de classe A et de classe B. Pour épargner ces sommes, environ 5 millions $ par année en solde seulement, les postes épargnés devraient être enlevés complètement du système. À elle seule, l’infanterie de la Régulière devrait renoncer à quelque 102 capitaines et adjudants; pas facile à vendre. 63
* Your assessment is very important for improving the work of artificial intelligence, which forms the content of this project
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